«Quand vous perdez un enfant, vous n’avez plus le goût à rien. Pour moi, il n’y a plus d’avenir»
Khedy, la maman
Elle s’appelait Kahina. Elle avait 15 ans et était karatéka dans un club aux Libellules, à Vernier. Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, le large sourire de cette jeune fille aux longs cheveux bruns s’est éteint. Sa mort porte un nom: le jeu du foulard. Depuis cette nuit tragique, sa maman Khedy remue ciel et terre pour tenter de survivre à ce drame et enrayer cette dangereuse pratique. «Ma fille pensait juste jouer. Elle cherchait à éprouver des sensations lors de l’évanouissement. Elle n’était pas consciente du danger. Elle y a laissé sa vie», confie cette mère inconsolable, en essuyant ses yeux humides.
A la tristesse se mêle la colère. Celle de constater que la prévention liée aux risques de ces jeux dangereux reste insuffisante. «Voire inexistante. On aurait pu éviter cela. Les autorités, les médias n’en parlent pas assez. Les parents ne savent pas. C’est un truc qui existe depuis des années et personne ne fait rien», insiste Khedy.
«Ma fille avait mille projets»
Un avis que partage Fabienne Tosi. Cette autre maman genevoise a perdu son fils il y a dix ans dans des circonstances similaires. Son père l’a retrouvé sans vie, sa ceinture de judo autour du cou. Depuis, Fabienne Tosi est déléguée pour la Suisse romande de l’association française APEAS (Accompagner-prévenir-éduquer-agir-sauver, qui lutte contre les jeux dangereux et le harcèlement) et fait de la sensibilisation et de la prévention auprès des adultes et des enfants. Elle se bat «notamment pour que cette cause de décès, les jeux dangereux, soit reconnue. Trop souvent, par méconnaissance, ces morts sont classés comme suicide ou accident domestique. C’est une douleur supplémentaire pour les parents.»
Une douleur que connaît bien Khedy. «Ma fille ne s’est pas suicidée, répète-t-elle. Elle avait mille projets. Elle venait de s’acheter un pantalon de marque, avec les pressions sur le côté. Cela faisait un an qu’elle le voulait, elle était impatiente de le mettre à la rentrée.» Lui reviennent les rires de sa fille, au téléphone avec sa nouvelle amie, «son reflet»; la crème au chocolat que Kahina avait cuisinée le 31 décembre après avoir cherché la recette sur Internet; son souhait d’intégrer la filière sports études ou encore leur projet d’avoir un chien, un berger malinois.
Plus tard, Kahina voulait devenir professeur de mathématiques et avoir deux enfants – elle qui n’avait jamais aimé être fille unique. Et puis, il y avait le karaté, qu’elle pratiquait tous les soirs et qu’elle enseignait aussi. «Kahina jamais tu ne quitteras ce dojo, tu en fais partie corps et âme», écrivent les membres de son club d’arts martiaux dans le journal communal de Vernier, rendant hommage à cette «figure emblématique et espoir prometteur».
Une marche blanche
Pour tenter de survivre, Khedy a créé, jeudi 20 février, une association qui porte le nom de sa fille: association Kahina. Son but: briser le tabou, informer les parents et leurs enfants des risques encourus. Ce combat, c’est ce qui la fait tenir. «Quand vous perdez un enfant, vous n’avez plus le goût à rien. Pour moi, il n’y a plus d’avenir. Je suis vide de l’intérieur. Je ne suis plus maman. Elle n’est plus là pour m’appeler maman...»
Afin de rendre hommage à sa fille et de lutter contre le fléau qui l’a emportée, Khedy organise une marche blanche en avril. «Une personnalité sera à mes côtés. C’est une marche apolitique. Ce serait bien que d’autres personnes nous rejoignent, qu’elles portent le message aussi loin que possible.» Et de conclure dans un souffle: «Si cela peut sauver d’autres vies...»