Genève lui a rendu l’ouïe...

- Il y a 30 ans à Genève, un premier patient sourd retrouvait l’ouïe grâce à un implant révolutionnaire.
- Une prouesse médicale des scientifiques des HUG qui ont fait de Genève un centre mondial en la matière.
- Cet exploit, ainsi que les 20 ans du Centre romand d’implants cochléaires, sont célébrés le 17 septembre.

  • Implanté à Genève, Beqir Ramushi est resté fidèle aux HUG, au point d’y travailler aujourd’hui. PASCAL BITZ

    Implanté à Genève, Beqir Ramushi est resté fidèle aux HUG, au point d’y travailler aujourd’hui. PASCAL BITZ

«L’enjeu était de connaître la physiologie de l’audition avant de l’imiter grâce à une prothèse électronique»

Philippe Guyot, chef du service d’ORL aux Hôpitaux universitaires de Genève

C’était il y a 30 ans, une éternité, à l’échelle scientifique et médicale: en avril 1985, pour la première fois en Suisse, plus exactement à l’hôpital cantonal de Genève, un patient se faisait poser un implant cochléaire multicanal et retrouvait son audition (lire ci-dessous).

Un véritable exploit scientifique né, au début des années 80, d’une rencontre entre le patron du service d’ORL de l’hôpital cantonal de Genève, le professeur Pierre Montandon, lui-même formé à Boston dans un important centre de recherche sur l’implantation cochléaire, et un autre jeune scientifique suisse, le physicien et ingénieur Marco Pelizzone en post-doctorat à New York. Une rencontre qui aboutit, et c’était une grande première romande, à l’ouverture à Genève d’un laboratoire de recherche, le 1er octobre 1984.

Incrédulité

Très vite, les défis n’ont pas manqué. Financiers bien sûr, puisqu’il a fallu s’assurer de budgets importants pour garantir la recherche, mais aussi scientifiques. «L’implant cochléaire a été un véritable exploit», raconte le professeur Jean-Philippe Guyot, actuel chef du service d’ORL aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «L’enjeu était d’abord de connaître très précisément la physiologie de l’audition, puis ensuite de tenter de l’imiter grâce à une prothèse électronique.»

Comme dans toute recherche expérimentale, les débuts ont été plutôt laborieux, se heurtant… à l’incrédulité du monde de la recherche: pour nombre de scientifiques, les travaux du laboratoire genevois relevaient en effet de la supercherie.

Alors, il a fallu convaincre. Et dans ce processus, un jeune adolescent va contribuer à changer la donne. Venu du Kosovo, Beqir Ramushi est devenu totalement sourd à la suite d’une méningite. Agé de 17 ans, il est implanté à Genève, ce qui lui permet après un long processus d’adaptation, de répondre au téléphone, et même d’apprendre le français, au point de devenir... une véritable preuve vivante (lire l’interview ci-dessous). La réussite est désormais incontestable et le centre de recherche genevois devenu Centre romand d’implants cochléaires (CRIC) en 1994 est désormais incontournable dans le monde de la recherche.

Reconnaissance

«Aujourd’hui, après 20 ans d’activité, de nouveaux responsables, pour la plupart formés par leur prédécesseurs, ont pris la tête du CRIC avec le même niveau d’excellence et de qualité, se réjouit le professeur Guyot. L’ingénieure Angelica Pérez Fornos a pris la suite de Marco Pelizzone, et l’excellent chirurgien Pascal Senn a succédé à la doctoresse Isbabel Kos. Et puis, et c’est une vraie reconnaissance, le CRIC change de dénomination : il devient le CURIC, Centre universitaire romand d’implants cochléaires.»

«L’implant, un retour dans le monde!»

INTERVIEW • En 1985, Beqir Ramushi débarque en Suisse, complètement sourd. Deux ans plus tard, il devient un des premiers implantés cochléaires au monde. Il est âgé de 17 ans.

Comment êtes-vous devenu sourd?

Beqir Ramushi: A l’âge de 15 ans, j’ai contracté une méningite qui m’a laissé complètement sourd des deux côtés. Mon oncle, qui travaillait en Suisse, m’a fait venir à Genève pour consulter. Assez rapidement, les médecins m’ont proposé une implantation cochléaire, mais à titre expérimental.

Avez-vous accepté tout de suite?

B.R.: Bien sûr, c’était une chance unique pour moi de retrouver l’ouïe. Mais j’ai dû attendre encore une année car le dispositif n’était pas prêt. Finalement, le professeur Montandon m’a opéré durant près de huit heures.

Avez-vous entendu tout de suite?

B.R.: Non, au bout de deux semaines seulement, et je me souviens encore du premier bruit que j’ai entendu, une sorte de bing. C’était magique, comme le signal d’un retour dans le monde. J’ai très vite entamé un long travail de rééducation et d’adaptation. Huit mois après avoir été implanté, j’ai commencé à travailler comme confiseur, à Genève. Ensuite, j’ai étudié pour obtenir un diplôme d’aide-soignant. Et à 40 ans, j’ai commencé à travailler aux Hôpitaux universitaires de Genève, qui plus est aux Urgences! CA