Un homme de 77 ans a menacé son fils avec une arme avant de se retrancher chez lui à Aïre-Le Lignon et de se donner la mort. Le fils en question est un personnage connu à Genève. Il s'appelle Esteban Isnardi, c'est un écrivain et professeur de danse célèbre dans le milieu de la salsa genevoise et internationale. Sans céder à l'accablement, mais avec le sentiment d'être un rescapé, il revient sur cette matinée dramatique du 25 juillet ou sa vie de fils unique a basculé dans l'horreur. Témoignage.
«Ce n'était pas mon heure»
«J'ai vu la mort dans les yeux de mon père alors qu'il braquait son pistolet sur moi. A quelques secondes près, je ne serais plus là», lâche d'emblée Esteban Isnardi. «Ce n'était pas mon heure!», frissonne-t-il en se remémorant les circonstances du drame.«Ce jeudi, je lui avais rendu une première visite le matin, il n'allait pas bien. Mon père, avec qui j'avais des rapports difficiles, souffrait notamment de troubles obsessionnels compulsifs. Il était lourdement atteint physiquement aussi. Je me souviens qu'enfant, je voulais devenir médecin pour soigner papa, confie la gorge nouée Esteban. Avant de poursuivre. Quand je suis revenu à l'appartement un peu plus tard, il était en slip. Instinctivement, j'ai senti que quelque chose n'allait pas, qu'il y avait péril en la demeure, j'ai donc gardé la porte de l'appartement ouverte. Je savais mon père, ancien agent de sécurité, armé d'un pistolet et d'un révolver.»
Je me suis enfui
«Il était visiblement troublé. Il s'adressait à moi en m'appelant pasteur, comme s'il me prenait pour son frère Walter. Il pensait que tout était un grand complot pour le placer dans un home. Pasteur mon sort est décidé n'est-ce pas? Mais non papa! Attends-moi là, je vais chercher quelque chose, ce sont les derniers mots que nous avons échangés. Ensuite, il est allé dans sa chambre. Contrairement à ses injonctions, je l'ai suivi et me suis posté sur le pas de la porte. Il a sorti une boîte en fer. Puis les choses sont allées très vite. Il a braqué son 38 mm sur moi et j'ai croisé son regard. Dans ses yeux j'ai vu: tu es mort! C'est ce regard macabre qui m'a éjecté de la pièce. Heureusement que la porte était ouverte. Je me suis enfui à toutes jambes, porté par l'adrénaline. J'ai alerté immédiatement la police. Le reste s'est lu dans les pages des faits divers des médias locaux.»
Ma fille m'aide à tenir le coup
Depuis le jour du drame, Esteban, fringant quinquagénaire, a du mal à évaluer les dégâts émotionnels. «J'ai le sentiment d'être un rescapé. Ma vie a basculé dans je ne sais pas quoi exactement. Mais je tiens le coup au-delà de mes espérances. Ce qui m'inquiète, c'est que je n'ai pas versé une seule larme. Peut-être s'agit-il d'un blocage post-traumatique... Ou alors est-ce parce que papa, lourdement malade, invoquait la mort comme une douce espérance ou en tout cas la fin de ses souffrances (lire ci-dessous). Ma fille de treize ans et demi aussi m'aide à tenir le coup. Elle sait tout, je lui ai tout raconté car j'ai horreur des secrets. Surtout, c'est moi qui vais reprendre le quatre pièces au chemin Nicolas-Bogueret. Et elle occupera la chambre de mon enfance, les semaines où elle sera chez moi.»
La vie continue
Mais retrouver l'appartement qui porte encore l'impact de la balle avec laquelle son père a mis fin à ses jours ne l'inquiète-t-il pas? «Oui, bien entendu. C'est moi qui ai nettoyé en partie les tâches de sang, ramassé les fragments de chair. Je me suis même assis là où papa s'est tiré une balle dans la tête. J'ai évidemment besoin de comprendre, d'exorciser cette part de folie qui existe en chacun de nous... mais la vie continue. D'ailleurs, le soir même du drame à 19 heures, j'ai donné un cours de salsa. Les gens riaient. Ils ne se sont doutés de rien. Je ne lui en veux pas. Je n'ai ni haine ni amour. Un peu comme si j'errais dans un purgatoire émotionnel.»