«J'avais besoin de calme après une année affreuse»

. L'ancien président du Conseil d'Etat revient sur son hallucinante descente aux enfers.
. Profondément marqué et soulagé d'avoir arrêté, Mark Muller aurait malgré tout préféré terminer son deuxième mandat.
. Malgré les affaires en cascade, il dresse un bilan positif de ses six ans à la tête des Constructions.

  • L'ancien conseiller d'Etat prépare son retour au Barreau de Genève.

    L'ancien conseiller d'Etat prépare son retour au Barreau de Genève.

Une barbe de quelques jours pour signifier son retrait du monde politique, le regard bleu acier et serein de celui qui sait que le pire est désormais derrière lui. L'ancien président du Conseil d'Etat revient sur son hallucinante descente aux enfers. L'occasion de commenter son bilan de 6 ans à la tête du Département des constructions et des technologies de l'information et d'expliquer comment il prépare, à 47 ans, son retour au Barreau de Genève. Interview.

- Mark Muller, comment allez-vous depuis votre démission, le 29 février?

- Bien mieux. J'ai traversé une période extrêmement difficile de ma vie. Cela a été très brutal. J'avais besoin de calme après une année affreuse.

- Vos déboires ont commencé bien avant l'agression d'un barman du Moulin à Danses, le soir du réveillon...

- Oui. Avec le recul, je peux dire que j'ai été victime d'un acharnement, déjà depuis février 2011.

- Cela a commencé avec l'affaire des villas à un prix d'amis et les accusations par l'Inspection des finances de mauvaise gestion des biens de l'Etat?

- Non, surtout avec des affaires qui n'avaient rien à voir avec mon action politique.

- Malgré cette cascade d'affaires, vous avez toujours clamé haut et fort qu'il n'était pas question de démissionner. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis?

- J'ai démissionné pour protéger ma famille et notamment mes deux enfants. Pour permettre aussi au Conseil d'Etat plombé de repartir. Et ne pas causer de tort à mon parti. Mes proches sont aujourd'hui soulagés que cette page du Conseil d'Etat soit tournée.

- Ironiquement le PLR peut aussi se réjouir puisque Pierre Maudet a été brillamment élu le 17 juin...

- Je m'en réjouis aussi. J'observe surtout que lors de cette élection complémentaire, il n'y a pas eu de vote sanction Mark Muller à l'égard du PLR.

- Peut-être parce que le parti n'avait pas hésité bien longtemps avant de vous lâcher lorsque vous étiez attaqué de toutes parts...

- Je ne crois pas. Je n'en garde en tout cas aucune rancœur. Il y a juste, je l'avoue, un certain nombre de personnes que je n'ai plus envie de côtoyer. Et pas seulement dans la classe politique.

- Lesquelles? Les conseillers d'Etat Charles Beer ou Pierre-François Unger? Le maire PLR de Veyrier Thomas Barth? Des journalistes?

- Comme tout ancien conseiller d'Etat, j'ai un devoir de réserve. J'entends le respecter. Je vous le répète, je ne garde aucune rancœur.

- Aucun regret, non plus...

- C'est clair, j'ai commis des erreurs. Dans l'affaire du Moulin à Danses par exemple, j'aurais dû, certainement, communiquer mieux. Mais on est toujours plus intelligent après.

- Avez-vous gardé votre carte du PLR?

- Oui. Je reste un membre actif du parti.

- Que symbolise à vos yeux l'élection de Pierre Maudet?

- D'une certaine manière son excellent score marque une forme de continuité et, surtout, un espoir qu'un certain nombre de problèmes trouvent des solutions.

- Plus concrètement, quels sont ces problèmes à traiter de toute urgence?

- La préoccupation de Genève, ces prochaines années, sera son développement économique. Certains jouent avec le feu en mettant des bâtons dans les roues des multinationales et en bloquant des projets.

- Qui dit développement, dit logement. A propos de l'explosif dossier de la crise du logement, vous avez réussi l'exploit de vous mettre tout le monde à dos aussi bien à gauche qu'à droite...

- Etre en charge du logement à Genève est une activité ingrate. Quelles que soient vos décisions, vous finissez par déplaire. D'un côté, il y a ceux qui se plaignent que rien ne bouge et de l'autre ceux qui s'opposent aux projets.

- Ironie du sort, le nombre de constructions, plus de 3300 en 2011, est particulièrement élevé... Autrement dit, d'autres vont profiter de votre travail. Cela doit faire mal?

- Non. C'est la même chose pour tous les responsables des infrastructures, l'arsenal juridique, la complexité des procédures font que tous les grands projets de constructions s'échelonnent au mieux sur une dizaine d'années. Le magistrat qui les lance ne les inaugure donc pas.

- Quels sont les principaux chantiers que vous avez lancés dont vous êtes le plus satisfait?

- Le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV). Dit sans fausse modestie, c'est mon œuvre. C'est moi qui l'ai initié et ai fait voter le déclassement. J'ai également ressorti le dossier de la traversée du Lac. Beaucoup d'autres projets sont en route comme le CEVA, les Cherpines, les Communaux d'Ambilly ou les Grands-Esserts à Veyrier. Le problème, c'est qu'en matière de logement le Canton ne poursuit pas les mêmes objectifs que les communes. Une commune n'a aujourd'hui pas intérêt à construire du logement. Et l'opposition des habitants et des riverains a un fort impact.

- Surtout si on a la réputation de passer en force. On vous a beaucoup reproché une piètre communication avec les communes et les associations notamment au sujet du Plan directeur cantonal Genève 2030 (PLC), refusé par près de trois quarts des communes?

- C'est faux. L'Etat n'a jamais autant consulté. Le PLC 2030 est tiré en grande partie du projet d'agglo. Ce dernier, qui a été initié par mes prédécesseurs Laurent Moutinot et Robert Cramer, a été élaboré avec les communes. En principe, on essaie toujours de trouver un accord. J'y suis souvent parvenu. Mais à un moment, si on n'y arrive pas, il faut trancher sinon c'est l'immobilisme. Et le fait de prendre une décision est souvent assimilé à un passage en force. C'est surtout cela qui passe mal. A gauche comme à droite.

Retour au Barreau de Genève

GiM • L'ancien conseiller d'Etat Mark Muller, qui avait démissionné le 29 février dernier, va faire son retour au Barreau de Genève comme avocat indépendant. Il est aussi en lice pour le poste de juge assesseur à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers. «C'est un retour à mes premières amours, le droit du bail. Mais, fort de 25 ans d'expérience, c'est le droit de la construction et le conseil dans le domaine immobilier qui seront mes activités principales. Au fond, c'est une troisième carrière professionnelle qui s'ouvre à moi», résume-t-il.Pour mémoire, Mark Muller avait notamment occupé le poste de secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière entre 1993 et 2003. Elu en 2005 au poste de conseiller d'Etat, le juriste de formation s'était ensuite occupé pendant six ans du Département des constructions et des technologies de l'information jusqu'à sa retentissante démission au début de l'année 2012.Pour espérer occuper le poste de juge assesseur, l'ancien magistrat âgé de 47 ans devra toutefois encore être élu par le Grand Conseil en septembre prochain. De quoi lui laisser un peu de temps pour profiter de ses vacances estivales.