«Je risque ma vie pour une photo...»

- Photographe en zone de conflit, le Genevois Guillaume Briquet rentre du Kurdistan irakien.
- Ses images révèlent l’horreur, qu’il a approchée au risque de sa vie.
- Elles parlent aussi d’un métier de plus en plus exposé. Témoignage choc.

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– Vous revenez du nord-est de l’Irak, région très peu médiatisée. C’est pour témoigner de la souffrance de la population que vous vous y êtes rendu?

– Guillaume Briquet: Il y a plusieurs types de population: celle qui est chassée par l’Etat islamique, celle qui est exterminée, mais aussi les soldats qui perdent leurs camarades, les parents qui perdent leur enfant, ou encore ceux qui souffrent du froid... des milliers de personnes souffrent en ce moment même.

– Quel est votre principal objectif quand vous partez en zone de conflit?

– Le but, c’est de voir l’évolution d’un conflit et de le montrer en photos. Je reviens du Kurdistan irakien, en effet, parce qu’il est impossible de se rendre en Irak aujourd’hui, en journaliste indépendant, du fait des conditions de sécurité qui ne peuvent être assurées, voire des risques d’enlèvement.

– Vous partez avec une idée précise de ce que vous voulez photographier ou sans a priori sur ce qui vous attend?

– Non je n’ai pas d’a priori et surtout pas de contrainte, c’est l’avantage d’être freelance.

– Vous pensez qu’une photographie peut faire changer les choses?

– Les photos peuvent choquer, provoquer, et déclencher des consciences, c’est évident. C’est une des raisons de la disparition des photographes en Syrie...

– Comment arrivez-vous à transmettre autant d’émotion avec vos clichés?

– La guerre est localisée. A 20 kilomètres de la ligne de front, les gens continuent à vivre. Quand je suis en zone de conflit, j’utilise tout mon temps. Pour montrer des civils dans des scènes quotidiennes ou des militaires à l’œuvre, par exemple. J’ai suivi des démineurs. J’étais à 1,50 mètre d’eux. Si cela explose, j’explose aussi. Ensuite, ils vont à l’intérieur de leur camion, je reste dessus, pour photographier. Cela fait carrément mal au corps quand on ressent le souffle de l’explosion; d’ailleurs c’est le souffle qui tue, pas l’explosion.

– Quelle est votre définition d’une bonne photo?

– Il faut qu’elle raconte une histoire, qu’elle parle d’elle-même.

– Une photo de guerre peut être esthétique?

– C’est un problème! Je vous citerais le vers le plus célèbre de Guillaume Apollinaire: «Ah Dieu! que la guerre est jolie». C’est dangereux, les photos peuvent être détournées de leur contexte.

– Comment gérez-vous la peur, sur place?

– Dans l’action, je m’attache aux visages des gens, je n’ai pas conscience des risques et donc, je n’ai pas peur. Certaines fois, j’ai pris des risques énormes pour faire des photos, mais si l’on se met à penser à ça, on ne fait rien.

– Avez-vous conscience d’être une cible potentielle, une monnaie d’échange pour les terroristes?

– Les photographes et les journalistes sont les témoins de leur époque. Je me souviens d’un journaliste anglais kidnappé qui s’est converti à l’islam pour survivre, mais ce n’est pas à nous de le juger parce que nous ne sommes pas à sa place.

– Seriez-vous prêt à faire comme lui?

– A Stalingrad, les soldats mangeaient de la chair humaine pour survivre! Qu’est-ce que je ferais si j’étais pris en otage? Je pense qu’il faut essayer de survivre, jusqu’au bout... ou bien se tirer une balle dans la tête immédiatement!

Témoigner de la réalité du monde

BD • A 51 ans, Guillaume Briquet est un photographe aguerri. D’autant que cela fait 30 ans qu’il couvre les zones de conflits du monde entier. Initié par Max Waterlaus (de l’agence Keystone) et la reporter indépendante Danny Gignoux, il s’est ainsi rendu en Syrie, au Zimbabwe, en Corée du Nord et à Haïti, mais aussi à Tchernobyl ou Fukushima… Bref, là où personne ne va, avec une seule motivation: témoigner de la réalité du monde.