La lutte contre le racisme à l’école s’organise

  • Deux associations intensifient leur combat contre la discrimination raciale en milieu scolaire.
  • A l’Ecole internationale, des ateliers vont dispenser un enseignement sur cette thématique. Un manuel pour les profs est en préparation.
  • Critiqué pour ne pas être assez actif, le Département de l’instruction publique répond. Dossier.

  • Un élève victime de discrimination raciale peut s’adresser au Centre d’écoute contre le racisme.

    Un élève victime de discrimination raciale peut s’adresser au Centre d’écoute contre le racisme. 123RF

«Les programmes de prévention contre les discriminations devraient faire partie de l’agenda scolaire»

Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme

C’est l’histoire d’un enfant banni des jeux collectifs en récréation et mis à l’écart en classe. Ses camarades, pour signifier son exclusion du groupe, affirment: «On ne joue pas avec le juif.» L’histoire est bien réelle et se déroule à Genève, en 2020. Et malheureusement, alors que débute une nouvelle année scolaire, elle pourrait tout à fait se reproduire.

«Plusieurs indicateurs montrent que les problèmes de racisme et d’antisémitisme sont en recrudescence en milieu scolaire», affirme le député PLR Pierre Conne. Une analyse que partage son homologue socialiste Romain de Sainte-Marie. Quelle est l’ampleur réelle du phénomène? Pour le savoir l’élu PLR entend demander «une véritable étude» en milieu scolaire au moyen d’une motion qu’il espère déposer cet automne avec l’appui d’autres partis.

Lieu clé pour éduquer

Une démarche qui suscite l’intérêt de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme (Cicad). «A l’heure actuelle, nous ne disposons pas de mesure scientifique du taux de discrimination raciale à l’école», regrette Johanne Gurfinkiel, secrétaire général. Or, c’est, à ses yeux, le lieu clé pour éduquer les jeunes sur ces questions. Il va plus loin: «On ne doit plus se contenter d’événements ou d’actions ponctuels. Les programmes de prévention contre les discriminations devraient faire partie de l’agenda scolaire du Département de l’instruction publique (DIP). Et ce, à tout âge. Relevant les risques liés à la prolifération des fake news et du conspirationnisme, il ajoute: «Si on veut éviter que les jeunes fonctionnent comme des éponges, on doit leur donner une formation de base pour qu’ils soient demain des citoyens éclairés et informés. C’est essentiel, surtout dans des sociétés aussi diversifiées que les nôtres.»

Partenariat

C’est dans cette logique que la Cicad a mis en place un partenariat avec l’Ecole internationale de Genève. Résultat: dès novembre 2020 débutent des ateliers pour les élèves en 9e année. Ce nouveau programme, conçu et délivré par des pédagogues spécialisés, se découpe en deux temps. Le premier concerne la compréhension des phénomènes de préjugés et discriminations raciales. Le second se penche sur la manipulation de l’information. Soulignant l’investissement de l’Ecolint, le secrétaire général regrette que le DIP soit «insuffisamment actif ou demandeur» sur ces questions.

Manuel de pédagogie antiraciste

La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra)–Genève est un peu moins sévère avec le DIP. Mais tout aussi préoccupée. Citant le rapport annuel 2018 de la Commission fédérale contre le racisme, le secrétaire général de la Licra-Genève, Francis Cossu, s’inquiète du fait qu’après le monde du travail, «le secteur de l’éducation est le deuxième plus concerné par la discrimination raciale, avec 38 incidents recensés». Selon la Licra, l’urgence est de donner aux professeurs les outils pour répondre aux questions et situations de ce type.

D’où le soutien de l’association genevoise à un ouvrage en cours de finalisation. Sous la direction de Carole Fumeaux et Moira Laffranchini Ngoenha, ce manuel de 120 pages s’intitule Des voix contre le racisme, une voie vers la pédagogie antiraciste. S’ajouteront des fiches pédagogiques accessibles sur le site de la Licra-Genève. Ainsi qu’une proposition de formation pour les enseignants du secondaire II, sous forme de deux sessions en novembre et en décembre. Dans l’idéal, elle devrait être dispensée à tous les enseignants, estime la Licra.

«La formation des professeurs sur ces questions est extrêmement importante», insiste le député Romain de Sainte-Marie. Même s’il considère lui aussi que les actions peuvent encore être renforcées, il n’est toutefois pas favorable à l’intégration de la thématique dans le programme scolaire. «Les campagnes de sensibilisation au sein des écoles sont tout aussi efficaces», estime le socialiste. Un avis que semble partager le DIP (lire encadré).

Ecole: une étude prévue en 2021

Renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Qu’en dit le Département de l’instruction publique (DIP)? «Une réflexion sur ces thèmes a débuté l’hiver dernier mais a été stoppée en raison du Covid-19. Elle reprend à cette rentrée», précise Prunella Carrard, secrétaire générale adjointe au DIP.

Si la lutte contre les discriminations fait partie des missions du DIP, reste à savoir comment il s’y prend? «Notamment par des actions de formation et de prévention auprès des élèves comme du personnel du département, avec l’aide des partenaires publics et d’associations, dont la Cicad.» Parmi les actions, sont citées la Journée de la mémoire et la Semaine des droits humains. S’ajoutent ponctuellement des concours et projets thématiques.

«En ce qui concerne les disciplines enseignées, chacune s’efforce de lutter contre les discriminations», souligne le DIP, notamment en histoire et en géographie où, par exemple, les questions liées au racisme et aux génocides sont étudiées. Reste des brochures pour l’enseignement du fait religieux ou sur le Mieux vivre ensemble à l’école.

Enfin, le département collabore avec le Centre d’écoute contre le racisme, «auquel toute personne peut s’adresser pour bénéficier d’une écoute, voire d’une assistance juridique». Le DIP précise que «ces dernières années, les directions générales de l’enseignement obligatoire et de l’enseignement secondaire II n’ont pas été sollicitées pour intervenir à la suite de tels actes».

Et Prunella Carrard de conclure: «Cela ne signifie pas pour autant que le phénomène n’existe pas. Pour mieux appréhender ces questions, le DIP souhaiterait faire en 2021 une enquête globale sur les discriminations, notamment raciales, à l’école.»