«La Revue est en pleine perdition»

  • Le célèbre metteur en scène Pierre Naftule dénonce une dangereuse erreur de casting à la tête de l’institution genevoise.
  • Il reproche notamment aux producteurs actuels la gestion des deniers publics et d’avoir laissé tomber toute l’équipe.
  • Grotesque, rétorquent Antony Mettler et Laurent Nicolet, dont les comptes sont auditionnés par la Ville de Genève.

  • Pour Pierre Naftule, la dernière Revue souffrait d’un gros problème d’écriture et manquait cruellement de rires...

    Pour Pierre Naftule, la dernière Revue souffrait d’un gros problème d’écriture et manquait cruellement de rires... STEFANIA CAZZATO

«S’ils refusent d’assumer leurs conneries, ce ne sont pas des producteurs»

Pierre Naftule

La gestion de la Revue genevoise soulève une vive controverse et passablement d’inquiétudes. En cause: l’utilisation de la subvention 2020 de la Ville de Genève. Comme révélé par la Tribune de Genève, les deux producteurs du spectacle satirique auraient utilisé une partie des 335’000 francs pour éponger l’important déficit des éditions précédentes. Une pratique contraire à la convention passée avec la municipalité qui prévoit notamment que les producteurs prennent en charge les pertes éventuelles.

En attendant que la municipalité fasse toute la lumière sur l’utilisation des deniers publics, ce scénario qui met à mal la réputation et l’avenir du célèbre spectacle dont l’édition 2020 a été annulée ne fait pas du tout rire Pierre Naftule. Comme à son habitude, le célèbre metteur en scène de 15 revues entre 1990 et 2017 ne mâche pas ses mots pour dénoncer une regrettable et dangereuse erreur de casting à la tête de l’institution genevoise. Interview.

GHI: Après avoir annulé la Revue 2020, les producteurs Antony Mettler et Laurent Nicolet auraient utilisé une partie de la subvention de la Ville pour éponger le déficit des éditions précédentes plutôt qu’indemniser leurs collaborateurs. Votre réaction?
Pierre Naftule:
Ça me déçoit. Réussir un spectacle, c’est remplir la salle, pas se remplir les poches! Quand nous avons commencé à travailler ensemble en 2015, je les ai avertis: les producteurs sont les derniers à être payés, mais les premiers à soutenir l’équipe. Apparemment, ils ont compris l’inverse!

– Qu’est-ce qui vous met le plus en colère?
– Je leur en veux surtout de laisser tomber toute l’équipe (qui est encore un peu la mienne) dans un moment où elle a tellement besoin de soutien. Mais je m’en veux aussi de leur avoir confié un spectacle alors qu’ils n’en maîtrisaient ni les exigences artistiques ni les règles déontologiques. Si la Revue perd de son prestige et une partie de son public, ils en seront pleinement responsables.

– Comment vos successeurs ont-ils pu creuser un déficit de près de 214’000 francs en deux ans?
– Il s’agit d’un problème de fréquentation. En 2017, pour ma dernière revue, nous avions accueilli un peu plus de 37’000 spectateurs. Alors que la dernière édition, signée Antony Mettler, en a totalisé un peu moins de 27’000. Du coup, le metteur en scène qui n’a cessé de clamer haut et fort, avec sa modestie légendaire, que sa revue était la meilleure de tous les temps, a réussi un autre exploit inédit: il a réalisé le plus gros déficit de toute l’histoire de la Revue!

– Si vous en étiez encore le producteur, auriez-vous annulé la Revue cette année?
– Non. S’il y a une année où les gens ont besoin de rire, c’est bien celle que nous vivons! Même avec la crise sanitaire, même privé de théâtre, j’aurais tout fait pour donner du travail à mon équipe. La crise est aussi une formidable occasion de se réinventer.

– Comment?
– On aurait pu rajeunir le public en réalisant des sketches courts sur les réseaux sociaux. Ou produire avec la RTS une grande émission satirique pour les fêtes... Il y avait tellement à faire pour les Genevois!

– La Ville procède à un examen approfondi des comptes mais dit avoir recadré les producteurs…
– Je serais très surpris en effet qu’un magistrat chargé de la Culture, socialiste de surcroît, cautionne la gestion qui prive une trentaine d’intermittents du spectacle de l’indemnisation à laquelle ils ont droit.

– Que peut faire la Ville pour obliger les producteurs à respecter leurs engagements?
– La solution est très simple: les producteurs se sont servis dans la subvention 2020 pour payer leurs déficits 2019 et 2018 d’environ 215’000 francs au total, la Ville n’a qu’à diminuer d’un montant équivalent leur subvention de l’année prochaine et attribuer immédiatement cette somme à l’indemnisation de la troupe.

– Et si les producteurs refusent?
– S’ils refusent d’assumer leurs conneries, de prendre leurs responsabilités, ce ne sont pas des producteurs.

– Et que leur manquerait-il pour le devenir?
– Des couilles!

Antony Mettler et Laurent Nicolet: «Accusations délétères!»

Les accusations sur le mauvais usage de la subvention 2020 versée par la Ville font réagir les coproducteurs de la Revue, Antony Mettler et Laurent Nicolet.

«La fermeture en urgence du Casino Théâtre en février pour travaux de sécurisation et les restrictions médico-sanitaires du Covid-19 nous ont obligés à annuler l’édition 2020. Nous comptions mettre à profit cette troisième et dernière année de mandat pour réduire la voilure et combler les déficits 2018 et 2019 (ndlr: 214’000 francs). L’annulation nous en a empêchés. Dans l’attente des conclusions de l’audit de nos comptes par la Ville, nous attribuons le déficit en grande partie à une légère baisse de fréquentation en 2019, une estimation à la baisse du prix moyen du billet mais aussi à un surcoût imprévisible de la TVA. Pour le reste, nous avons respecté au plus près les charges budgétées. Reste que la masse salariale globale est d’environ 1,5 million de francs par an. La subvention annuelle de 335’000 francs ne suffit pas à la combler. Des demandes d’aides complémentaires sont d’ailleurs en cours pour une trentaine de personnes dont les contrats auraient dû commencer à partir du 1er septembre 2020, en sachant cependant que nos demandes de réduction d’horaire de travail ont été refusées.»

«Nous n’avons perçu aucune rémunération»

«Nous tenons à ajouter, poursuivent-ils, que les deux seules collaboratrices permanentes de l’association ont été totalement rémunérées et que nous n’avons perçu aucune rémunération en tant que producteurs cette année. Les producteurs que nous sommes ne se sont aucunement servis de la subvention 2020 pour s’enrichir sur le dos des membres de notre équipe. Laisser penser une chose pareille est tout simplement grotesque et particulièrement malveillant!»