«S’ils refusent d’assumer leurs conneries, ce ne sont pas des producteurs»
Pierre Naftule
La gestion de la Revue genevoise soulève une vive controverse et passablement d’inquiétudes. En cause: l’utilisation de la subvention 2020 de la Ville de Genève. Comme révélé par la Tribune de Genève, les deux producteurs du spectacle satirique auraient utilisé une partie des 335’000 francs pour éponger l’important déficit des éditions précédentes. Une pratique contraire à la convention passée avec la municipalité qui prévoit notamment que les producteurs prennent en charge les pertes éventuelles.
En attendant que la municipalité fasse toute la lumière sur l’utilisation des deniers publics, ce scénario qui met à mal la réputation et l’avenir du célèbre spectacle dont l’édition 2020 a été annulée ne fait pas du tout rire Pierre Naftule. Comme à son habitude, le célèbre metteur en scène de 15 revues entre 1990 et 2017 ne mâche pas ses mots pour dénoncer une regrettable et dangereuse erreur de casting à la tête de l’institution genevoise. Interview.
GHI: Après avoir annulé la Revue 2020, les producteurs Antony Mettler et Laurent Nicolet auraient utilisé une partie de la subvention de la Ville pour éponger le déficit des éditions précédentes plutôt qu’indemniser leurs collaborateurs. Votre réaction?
Pierre Naftule: Ça me déçoit. Réussir un spectacle, c’est remplir la salle, pas se remplir les poches! Quand nous avons commencé à travailler ensemble en 2015, je les ai avertis: les producteurs sont les derniers à être payés, mais les premiers à soutenir l’équipe. Apparemment, ils ont compris l’inverse!
– Qu’est-ce qui vous met le plus en colère?
– Je leur en veux surtout de laisser tomber toute l’équipe (qui est encore un peu la mienne) dans un moment où elle a tellement besoin de soutien. Mais je m’en veux aussi de leur avoir confié un spectacle alors qu’ils n’en maîtrisaient ni les exigences artistiques ni les règles déontologiques. Si la Revue perd de son prestige et une partie de son public, ils en seront pleinement responsables.
– Comment vos successeurs ont-ils pu creuser un déficit de près de 214’000 francs en deux ans?
– Il s’agit d’un problème de fréquentation. En 2017, pour ma dernière revue, nous avions accueilli un peu plus de 37’000 spectateurs. Alors que la dernière édition, signée Antony Mettler, en a totalisé un peu moins de 27’000. Du coup, le metteur en scène qui n’a cessé de clamer haut et fort, avec sa modestie légendaire, que sa revue était la meilleure de tous les temps, a réussi un autre exploit inédit: il a réalisé le plus gros déficit de toute l’histoire de la Revue!
– Si vous en étiez encore le producteur, auriez-vous annulé la Revue cette année?
– Non. S’il y a une année où les gens ont besoin de rire, c’est bien celle que nous vivons! Même avec la crise sanitaire, même privé de théâtre, j’aurais tout fait pour donner du travail à mon équipe. La crise est aussi une formidable occasion de se réinventer.
– Comment?
– On aurait pu rajeunir le public en réalisant des sketches courts sur les réseaux sociaux. Ou produire avec la RTS une grande émission satirique pour les fêtes... Il y avait tellement à faire pour les Genevois!
– La Ville procède à un examen approfondi des comptes mais dit avoir recadré les producteurs…
– Je serais très surpris en effet qu’un magistrat chargé de la Culture, socialiste de surcroît, cautionne la gestion qui prive une trentaine d’intermittents du spectacle de l’indemnisation à laquelle ils ont droit.
– Que peut faire la Ville pour obliger les producteurs à respecter leurs engagements?
– La solution est très simple: les producteurs se sont servis dans la subvention 2020 pour payer leurs déficits 2019 et 2018 d’environ 215’000 francs au total, la Ville n’a qu’à diminuer d’un montant équivalent leur subvention de l’année prochaine et attribuer immédiatement cette somme à l’indemnisation de la troupe.
– Et si les producteurs refusent?
– S’ils refusent d’assumer leurs conneries, de prendre leurs responsabilités, ce ne sont pas des producteurs.
– Et que leur manquerait-il pour le devenir?
– Des couilles!