«La terreur est une arme pour nous déstabiliser»

- Tout touriste occidental en terre islamique est-il une cible potentielle du terrorisme?
- Un spécialiste du monde arabe relativise la menace tout en appelant à plus de vigilance.
- Une surveillance à renforcer en Suisse aussi qui pourrait, à son tour, devenir une cible du djihadisme.

  • Pour Hasni Abidi, le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, il faut observer une vigilance accrue . DR

    Pour Hasni Abidi, le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, il faut observer une vigilance accrue . DR

  • Pour Hasni Abidi, le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, il faut observer une vigilance accrue . DR

    Pour Hasni Abidi, le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, il faut observer une vigilance accrue . DR

Exergue

Signature

GHI: – L’Algérie, la Tunisie, le Maroc, l’Egypte, les Maldives ou encore les Philippines sont tout à la fois des terres islamiques et des destinations touristiques. Sont-elles devenues dangereuses pour un Occidental qui désirerait s’y rendre?

Hasni Abidi: – Non, tous ces pays ne sont pas au même niveau de risques. Depuis un certain temps, l’Egypte est déconseillée aux touristes. Elle l’est toujours, mais pas pour les mêmes motifs. Les autres pays ne constituent pas pour le moment un danger pour les Occidentaux. Ne pas y aller, ce serait céder aux menaces des terroristes. La peur et la terreur sont des armes redoutables pour déstabiliser nos démocraties. Il ne faut pas non plus surestimer leur capacité d’agir, mais il convient d’observer une vigilance accrue.

– Mais alors quel sens donner à l’exécution du guide français Hervé Gourdel perpétrée par un groupe algérien lié à l’Etat islamique?

– La négociation ou la demande de rançon n’était pas à l’ordre du jour. Le délai très court donné ne laissait aucune chance à un processus de négociation. En plus, en matière de terrorisme, le régime algérien ne fait pas dans la dentelle. Hervé Gourdel, premier Occidental enlevé hors territoire de Daech, a été enlevé pour signer l’acte de naissance de Jund Al-Khalifa de la manière la plus brutale. Se démarquer d’AQMI (ndlr: Al Qaida au Maghreb islamique) et marquer son allégeance au Calife autoproclamé. Le mouvement espère ainsi grossir ses rangs et devenir le représentant légitime de Daech en Algérie. Les appels au meurtre contre les Français lancés par le numéro 2 du mouvement ont été appliqués à la lettre par ce groupe, pourtant sans lien organique apparent avec l’Etat islamique. Nous sommes face à un mouvement qui frappe par opportunisme et non pas par calcul. Il frappe quand il peut et où il peut.

– Peut-on imaginer que les prises d’otages et les exécutions vont désormais se multiplier partout dans le monde?

– Contrairement à Al Qaida, qui a mis du temps pour constituer un réseau international et créer des structures sous formes de cellules dormantes, Daech est relativement récent et a bâti sa stratégie sur la consolidation d’un territoire et non pas sur la globalisation du jihad qui est la marque de fabrique d’Al Qaïda. Oui, Daech peut recourir à des attentats à l’étranger, mais plutôt comme sanctions ou pour venger que pour exister. Son mode opérationnel consiste à conquérir un territoire, de préférence dans un environnement peu hostile, et à le consolider. Des actions à l’étranger restent possibles pour signifier un acte d’adhésion ou une forme de solidarité, mais pas pour revendiquer la création et l’occupation du territoire.

– La poursuite des frappes en Irak est-elle à vos yeux la meilleure réponse que l’Occident puisse apporter pour éradiquer le danger lié à l’émergence du Califat?

– Les frappes aériennes ont mis fin aux attaques de Daech contre le sanctuaire kurde, seul refuge pour les minorités, mais elles n’ont pas sécurisé le pays, ni anéanti les terroristes. Il est difficile de traquer des hommes qui se cachent dans une population dont une partie ne leur est pas forcément hostile. La solution est donc sécuritaire, mais l’approche politique est la meilleure garantie pour consolider la paix. Il me semble que les puissances occidentales ne sont pas enthousiastes à l’idée d’une solution globale incluant une issue au drame syrien, qui continue d’alimenter Daech et les autres groupes radicaux. La démission du monde libre au lendemain des révoltes pacifiques syriennes et irakiennes se poursuit aujourd’hui avec des conséquences dramatiques.

– Est-ce que ça peut être les prémices d’un conflit beaucoup plus large à l’échelle mondiale?

– Nous sommes déjà dans un tournant. Le sacro-saint principe de l’inviolabilité des frontières est désormais caduc. Les accords Sykes-Picot de 1916 risquent de voler en éclat si le monde ne se ressaisit pas et ne s’implique pas davantage dans la crise qui secoue une région fatiguée, déboussolée et surtout humiliée. Quelle région au monde pourrait supporter les crises et les conflits qui secouent le Moyen et le Proche Orient? Aucune. Et pourtant, la vie en Orient continue dans un quotidien rythmé par la crise iranienne, trois guerres dans le Golfe, le conflit israélo-palestinien, les dictatures et le retour des autoritarismes. La pire erreur dans cette région serait de lui tourner le dos ou de lui prodiguer le mauvais traitement. Notre Occident sans l’Orient n’est plus l’Occident. 

La Suisse n’est pas à l’abri!

CA • Notre pays est-il la cible de menaces djihadistes sur son territoire? «Oui et non, répond Jean-Paul Rouiller, directeur du Centre d’analyse du terrorisme à Genève. Si par menaces, on entend l’existence de hordes de terroristes prêtes à placer des bombes au Palais fédéral, la réponse est non. En revanche, si par menaces, on entend la présence de personnes qui disposent de contacts en Syrie et en Irak et qui ont la possibilité de recruter des gens ici, la réponse est oui, puisqu’il existe chez nous une communauté virtuelle de sympathisants de l’Etat islamique.» Et d’ajouter: «Les choses peuvent néanmoins évoluer. Le dernier discours du porte-parole de l’Etat islamique, il y a une semaine, demandant aux recrues de se retourner contre leur état de tutelle rend plausible l’idée que cet appel soit un jour entendu en Suisse.»

Reste une question lancinante: les autorités helvétiques, qu’elles soient cantonales ou fédérales, sont-elles préparées à répondre à une telle menace? «L’Etat helvétique, observe Jean-Paul Rouiller, répond de manière cohérente et essaie de faire au mieux, le tout en coordination, à des degrés divers, avec les services de renseignements européens. Reste qu’il nous faut reconnaître qu’en démocratie, on ne peut pas tout contrôler tout le temps. Nos officiels devraient avoir une démarche plus didactique en direction de la population afin d’expliquer les enjeux et ce qu’il est possible de faire.»