Le retour des prostituées clandestines

L’acceptation par le peuple, le 9 février, de l’initiative contre l’immigration de massec va limiter la main-d’œuvre étrangère. A la clé, la clandestinité pour les prostituées européennes qui souhaiteraient s’installer en Suisse. Le contrôle et la prévention de ce milieu vont immanquablement en pâtir.

  • Le nombre de prostituées exerçant clandestinement pourrait augmenter. THINKSTOCK/ALEXEY KLEMENTIEV

    Le nombre de prostituées exerçant clandestinement pourrait augmenter. THINKSTOCK/ALEXEY KLEMENTIEV

«La réintroduction des contingents va favoriser la clandestinité»

La patronne d’un salon de massages érotiques

C’est un des effets méconnus de la votation du 9 février. L’éventuel retour des contingents pour les travailleurs étrangers, lié à l’adoption de l’initiative de l’UDC sur «l’immigration de masse», ne sera pas sans effets sur le monde très fermé de la prostitution en Suisse.

Au noir

«C’est évident, il va y avoir des conséquences, confirme ainsi la patronne d’un des plus grands salons de massages érotiques de Suisse romande. Si l’on réintroduit des contingents, les filles continueront à venir en provenance d’Europe, mais elles travailleront au noir, tout simplement».

«Il va y avoir des répercussions, c’est sûr, renchérit pour sa part Marc Tille, chef de la police du commerce du canton de Vaud. Mais il est difficile de savoir à quel niveau, car on ne sait pas encore comment l’initiative sera appliquée par Berne (lire ci-contre). Mais notre travail risque bien de se compliquer.»

Dans le canton de Vaud en effet, les prostituées s’annoncent sur une base volontaire. Leur local de travail doit en revanche être déclaré à la police du commerce, ce qui laisse à celle-ci une marge de manœuvre pour contrôler la profession, en termes d’hygiène, de santé publique et de protection des travailleuses du sexe. A Genève, les prostituées doivent annoncer leurs activités à la Brigade des Mœurs.

Situation économique

La plupart des acteurs du monde de la prostitution appréhendent un risque de retour à la situation d’avant les bilatérales: le retour du fameux permis «L» d’«artistes de cabaret», ou même la clandestinité pour celles qui ne pourraient obtenir un permis de travail.

«Les conséquences sont difficiles à prévoir, concède de son côté Anne Ansermet Pagot, directrice de l’association de prévention Fleur de Pavé, car cela dépend de la manière dont l’initiative sera appliquée. Un des risques en effet est que cela pousse les femmes à entrer dans la clandestinité ou de choisir un autre pays. Mais la cause première de l’arrivée des prostituées est d’abord la situation économique dans leur pays d’origine.»

Offre et demande

En Suisse comme ailleurs, le marché du sexe fonctionne selon la règle de l’offre et de la demande, avec de la concurrence et un certain degré d’autorégulation à la clé. En clair, la demande existant, l’offre sera garantie, qu’elle soit sous forme légale ou pas. Ainsi, si l’avènement des bilatérales a favorisé la libre circulation des prostituées européennes, il n’a pas pour autant permis une augmentation exponentielle de leur nombre en Suisse.

Le scénario le plus vraisemblable est donc qu’en effet, après un certain nombre d’années, la raréfaction de la délivrance de permis se traduise par une augmentation du nombre de prostituées exerçant clandestinement, surtout si la situation économique de l’Union européenne ne s’améliore pas.

Contrôles difficiles

«La situation était déjà délicate, elle le sera encore plus car on risque de perdre de vue un certain nombre de ces travailleuses du sexe. Nous devrons vraisemblablement renforcer les contrôles qui existent déjà, anticipe Marc Tille. Car lorsque les prostituées sont en situation irrégulière, il est en effet beaucoup plus difficile pour elles de dénoncer des conditions de travail déplorables!»

Genève évalue la situation

CA • Quels sont les risques de l’entrée en vigueur de contingents dans le monde de la prostitution en Suisse ? A Genève, l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) évalue la situation. «Les nouvelles dispositions constitutionnelles prévoient de limiter l’immigration par des plafonds et des contingents annuels», précise l’OCPM. Il rappelle que le Conseil fédéral a engagé les travaux nécessaires à la mise en œuvre de cette décision, mais qu’à l’heure actuelle, il ne sait pas encore si ces contingents seront élaborés par canton, par région ou par secteur économique, comme par exemple: «Toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers (y compris le domaine de l’asile) sont touchées par cette initiative». Cela signifie que le monde de la prostitution est aussi concerné, dans la mesure où les personnes étrangères exerçant la prostitution doivent être au bénéfice d’une autorisation délivrée en vertu du droit des étrangers. Par ailleurs, l’OCPM ne pense pas que Genève subirait une explosion de prostituées clandestines. «Au contraire, un des facteurs importants susceptibles de créer un marché clandestin serait d’interdire la prostitution.» Si l’initiative devait restreindre la venue de ressortissants UE/AELE pour exercer la prostitution, Genève craint en revanche une augmentation des demandes d’autorisation pour exercice de la prostitution en faveur de ressortissants non UE/AELE. Ceci en sachant qu’aujourd’hui les conditions sont très restrictives dans ce domaine, dans la mesure où la libre circulation actuelle pour ces travailleurs sera restreinte par la mise en œuvre de cette initiative.