«Le sport est avant tout une école de vie, un liant social»
Philippe Furrer, fondateur de l’agence insPowereBy
«Les effectifs des clubs sportifs ne cessent de baisser depuis environ une dizaine d’années. Ce recul constant n’affecte pas de la même manière tous les groupes de membres, fédérations sportives et disciplines. Il s’agit plutôt d’un phénomène global», assène d’emblée Philippe Furrer, fondateur de l’agence insPowereBy et ex-manager au Comité international olympique (en médaillon). Un constat corroboré par Christophe Jaccoud, professeur associé de sociologie du sport à l’Université de Neuchâtel (Unine) lors du Forum cantonal du sport au mois de février à Uni-Mail: «Beaucoup de pratiquants qui répugnent à se plier à un calendrier d’entraînement passent à autre chose ou préfèrent consommer le sport à la carte, surtout dans les disciplines collectives», pointe-t-il notamment.
C’est particulièrement vrai au Chênois Genève Volleyball (CGV). «Nous pratiquons un sport d’équipe et nous vivons dans un monde de plus en plus individualiste. Forcément, à un moment il y a contradiction», pointe Caroline, secrétaire du CGV. Concrètement, les licenciés du club ont chuté de 250 à 187 en moins de deux ans. «Une part non négligeable de jeunes se montre peu assidue à l’entraînement ou désintéressée par la compétition. Certains n’ont aucun scrupule à abandonner en cours de saison. Petit à petit, le côté familial s’est érodé. Les adultes ne sont pas épargnés par ces changements», explique-t-elle. Ce que confirme le recul des effectifs du côté du Grand-Saconnex Basket. Depuis 2015, le club n’a plus que deux équipes seniors contre trois auparavant.
Sport-loisir-plaisir
D’autres disciplines, plus ou moins populaires, se retrouvent dans la même situation à Genève. «Les jeunes se détournent des exigences contraignantes du cyclisme», note de son côté l’ancien pistard Loïc Hugentobler, président de Genève Cyclisme. «Ou oublient de se présenter à un rendez-vous pour un match important sans excuses ni explications», relève Gianni di Martino, président de l’association cantonale genevoise de rugby. «Un grand nombre de jeunes sportifs ont ce genre d’état d’esprit. Derrière ces comportements perçus comme naturels, il y a souvent un échec à inculquer des valeurs de base comme l’engagement pour le club qui allaient de soi autrefois.»
Reste à expliquer les principales causes de cette désaffection constante. «Elles sont multiples, résume Philippe Furrer. D’abord, il y a l’émergence d’activités plus fun comme les sports de rue et, par exemple, le street workout, gymnastique urbaine 100% gratuite et accessible à tous à deux pas de chez soi. Ces nouvelles activités urbaines, davantage tournées vers le sport-loisir, le plaisir, la bonne forme physique et la convivialité sont en vogue car elles répondent mieux aux besoins d’une partie des plus jeunes», explique-t-il. Avant de préciser: «Ensuite, beaucoup plus inquiétant, il y a la concurrence des écrans, du e-sport et du e-gaming.»
La technologie qui déconnecte
Une «numérisation des esprits» qui a aussi des effets inquiétants sur la santé des jeunes. «Oui. Près de la moitié des ados entre 14 et 18 ans quitte les structures organisées et associatives du sport. Cela a un effet catastrophique sur leur état de santé mentale et physique. En Suisse, les chiffres disponibles indiquent une proportion d’enfants et d’adolescents en surpoids ou obèses de 16,7%. C’est très inquiétant, même si, pour l’instant, cela reste moins grave que dans la plupart des pays voisins. Mais c’est le bien-être psychologique de nos jeunes qui m’inquiète plus encore. Dans une enquête de novembre 2015, mandatée par le canton de Vaud, le taux de jeunes souffrant de symptômes dépressifs de façon récurrente était très alarmant», pointe Philippe Furrer.
«Une école de vie»
L’ex-manager au CIO ajoute: «Le sport n’est pas une activité Nice to have ou un business lucratif, c’est avant tout une école de vie, un liant social aussi bien à titre individuel que collectif. Assurer sa place dans notre société n’est pas que du ressort des clubs ou des fédérations. Ce travail essentiel revient aussi aux autorités politiques et scolaires. Ensemble, elles doivent contribuer à changer les choses. D’autant qu’à Genève, et plus généralement en Suisse, on a tout pour bien faire. Infrastructures, finances publiques plutôt saines, clubs, coaches, bénévoles et un environnement encore relativement bien préservé. Tout est en place pour corriger la tendance. Alors, qu’attend-on pour agir…»