Le voyage salvateur d’un policier à Auschwitz

  • Le fonctionnaire suspendu pour avoir transféré des images à caractère antisémite a été réintégré, début mars.
  • Pour se racheter, le policier a tenu à se rendre au camp d’extermination en Pologne.
  • Une «énorme claque». Et un repentir sincère qui a amené le conseiller d’Etat Mauro Poggia à lui laisser une dernière chance.

  • Pour se racheter, le policier a tenu à se rendre au camp d’extermination en Pologne. (123RF/Brais Seara Fernandez)

    Pour se racheter, le policier a tenu à se rendre au camp d’extermination en Pologne. (123RF/Brais Seara Fernandez)

«On ne lutte pas contre le racisme et l’antisémitisme uniquement par la sanction et l’exclusion mais avant tout par l’éducation»

Mauro Poggia, chef du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé

La réintégration d’un policier, condamné pour discrimination raciale pour avoir transféré sur un groupe WhatsApp des images à caractère antisémite fait jaser. Parce qu’il a été réintégré le 1er mars après dix mois de suspension. Dans les rangs de la police, certains pensent qu’il y a deux poids deux mesures. Au Grand Conseil, la députée PDC Anne-Marie von Arx-Vernon a déposé une interpellation urgente demandant pourquoi le Conseil d’Etat a choisi cette voie, alors qu’aux dernières nouvelles, il était plutôt question de licencier l’agent.

«Gros travail sur lui-même»

Comme l’a révélé Le Courrier, c’est le conseiller d’Etat Mauro Poggia, en charge du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES), qui a pris la décision de réintégrer le policier. «La facilité eût été de signer une lettre de licenciement», observe le magistrat. «Mauro Poggia a pris une décision courageuse», assure de son côté Me Robert Assaël, l’avocat du policier, rappelant que son client a suivi une psychothérapie, qu’il s’est beaucoup documenté sur la période de 1939-1945. «Il a fait un gros travail sur lui-même et a beaucoup gagné en maturité», poursuit Me Assaël.

Enorme claque

L’arrêté du conseiller d’Etat a été pris le 27 février dernier. La date n’a pas été choisie par hasard. Elle correspond, à un mois près, au retour du policier du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, devenu le symbole du génocide et de l’Holocauste. Ce voyage, le fonctionnaire l’a entrepris avec un membre actif de la communauté juive genevoise. Il s’inscrit dans sa quête de rédemption, de prise de conscience et de meilleure connaissance d’une terrible réalité. Sur place, le policier dit avoir pris «une énorme claque» en découvrant les abominations perpétrées par le régime nazi. «A certains moments de la visite, mon sang s’est littéralement glacé», peut-on lire dans un courrier écrit par le policier.

Il faut dire que les photos, les objets (comme les chaussures, les valises et aussi les cheveux) d’un million de juifs exterminés à Auschwitz fait plus que froid dans le dos. Visiter le camp au mois de janvier, dans un climat extrêmement rude, lui a aussi permis d’imaginer les conditions de vie et de souffrance des prisonniers qui travaillaient à l’extérieur avec leurs seuls uniformes en tissu, des conditions de vie dans des baraquements où l’on n’oserait même pas mettre des animaux.

«Démarche personnelle sincère»

Pour Mauro Poggia, qui a rencontré le policier à deux reprises, sa décision est juste: «J’ai voulu voir ce qu’il avait dans les tripes. Il souffrait du fait d’être suspendu. Pour lui, la police c’est toute sa vie. On ne lutte pas contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les phobies uniquement par la sanction et l’exclusion mais avant tout par l’éducation. Lorsqu’une personne qui a été condamnée pour un tel acte démontre qu’elle a pu, par une démarche personnelle sincère, prendre conscience de la gravité de son comportement, l’intérêt de la collectivité n’est pas de la stigmatiser ni de l’écarter mais de la mettre à contribution pour faire changer les choses depuis l’intérieur et servir de garde-fou contre les récidives.»

En mai 2018 déjà, le policier a pris contact avec la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) pour exprimer ses regrets d’avoir pu blesser certaines sensibilités. «C’était d’autant moins son intention qu’il n’est ni raciste, ni antisémite. Il a proposé d’entreprendre une action en faveur de ceux qui souffrent de l’antisémitisme», assure son avocat. A la police, il n’est pas exclu que par la suite, le fonctionnaire puisse, un jour, utiliser sa faute pour en parler dans un cours destiné à ses collègues. Rien n’est officiellement décidé. Il est prévu de faire le point dans quelque mois.