Oubliés de la crise, les employés se mobilisent

  • Voilà maintenant un an que des milliers de travailleurs sont au chômage technique car leur activité est à l’arrêt.
  • Malgré les RHT (réduction de l’horaire de travail), beaucoup rencontrent des difficultés financières.
  • Un trio a créé une page sur les réseaux sociaux pour faire entendre la voix des salariés et des étudiants.

  • La page Facebook créée par trois employés d’un restaurant. DR

    La page Facebook créée par trois employés d’un restaurant. DR

«On essaie d’en tirer quelque chose de concret, de créer un élan de solidarité»

Anita*, David* et Yanis*, trois employés d’un restaurant de Carouge

Un an déjà... Depuis mars 2020, le quotidien d’Annabelle, employée au vestiaire de la boîte de nuit le Moulin Rouge à Plainpalais, a basculé. Du jour au lendemain, elle a dû délaisser sa «cahute». Elle qui travaille dans le monde de la nuit depuis octobre 2016 n’en peut plus d’être au chômage technique. «Même si je ne suis pas la plus à plaindre car j’ai un autre emploi à côté.»

Plusieurs de ses collègues n’ont pas cette chance et peinent à subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur famille. «On touche les RHT [réduction de l’horaire de travail] mais, cela ne couvre que 80% du salaire. Les revenus ne sont pas énormes en travaillant à temps partiel dans le monde de la nuit. Du coup, 20% en moins, c’est rude!»

Délais des RHT

Autre souci majeur aux yeux de la jeune femme, le délai de versement des RHT (lire encadré) et par effet domino des salaires: «Notre employeur a été très transparent. Il nous a expliqué avoir touché les RHT pour avril et mai en juillet. Du coup, avant cela, il avançait nos salaires.» Seulement voilà, au fil des mois, les liquidités viennent à manquer. Résultat: «Ce mois-ci, nous avons touché nos salaires le 15. Difficile de faire patienter son bailleur jusqu’à la moitié du mois. Et je ne parle même pas de remplir le frigo!» Pour expliquer sa situation et demander que les RHT soient versées dans des délais raisonnables à son patron, Annabelle s’est fendu d’une longue lettre adressée à la caisse de chômage. «J’ai reçu une réponse standard de quatre lignes! Me disant simplement d’aller voir mon patron ou même de le mettre en demeure! Je suis tombée des nues.» Dénonçant un «manque de respect», elle ajoute: «On a l’impression d’être des numéros de dossier alors que nous sommes des gens qui vivent, qui sont angoissés.»

«Une plateforme d’écoute»

Une angoisse que partagent Anita*, David* et Yanis*. Ces trois employés d’un restaurant carougeois ont créé une page sur Facebook intitulée «Employés Etudiants Citoyens». Le but: recueillir des témoignages de ceux qu’on a finalement peu entendus durant ces mois de crise. «Il y a mille et une situations difficiles. Cette page, c’est une plateforme d’écoute», commente Anita. L’idée lui est d’ailleurs venue après avoir discuté avec un étudiant qui mendiait dans le tram. «Au lieu de chercher des coupables, on voudrait trouver tous ensemble des solutions», clame Yanis.

Refusant d’être politisé ou taxé de complotiste, le trio revendique le rôle de «porte-voix». «On a plus fait ça avec notre cœur qu’avec notre tête, soulignent-ils. Mais, on essaie d’en tirer quelque chose de concret, de créer un élan de solidarité.» Pour l’heure, la page compte un peu plus de 200 abonnés, «sans aucune publicité».

«Est-ce qu’on sera encore là?»

Pour David, barman de profession et âgé de 22 ans seulement, le problème dépasse la question du travail: «Au-delà de notre gagne-pain, c’est toute notre vie sociale qui est touchée.» Et Yanis de renchérir: «On ressent cette urgence, ce désarroi dans notre branche mais aussi plus largement tout autour de nous.»

Ce désarroi est d’autant plus fort que l’avenir est incertain. Commentant les assouplissements annoncés mercredi 24 février par le Conseil fédéral mais qui malheureusement ne concernent pas le milieu de la nuit, ni la restauration, Annabelle insiste: «On se demande quand est-ce qu’on va pouvoir reprendre? Sans doute les derniers! Mais aussi, est-ce qu’on sera toujours là quand ça va redémarrer?»

Même son de cloche du côté d’Anita et de ses collègues. «On voit les enseignes fermer tout autour de nous. Ici, un coiffeur met la clé sous la porte, là un bar... Notre patron fait tout ce qu’il peut pour qu’on n’en arrive pas là mais il n’est pas magicien! On craint vraiment que notre tour arrive», conclut-elle avant de fermer la porte du restaurant, ouvert le temps de la pause de midi pour la vente à l’emporter. * Noms connus de la rédaction

RHT: «Maintenant, on est dans les délais»

Interrogé sur les délais de versement des indemnités de RHT (réduction de l’horaire de travail), le porte-parole du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES), Laurent Paoliello, précise: «Le délai moyen est de trois à cinq jours. Les employeurs envoient la demande à la fin du mois, à partir du 25. Puis, les indemnités RHT leur sont versées au tout début du mois suivant.»

Reste que l’employeur doit tout de même avancer les salaires. «En effet. La loi n’autorise pas à payer les RHT à l’avance. Il s’agit d’un remboursement fait à l’entreprise», stipule le porte-parole, conscient qu’après un an de crise certaines entreprises peinent à avoir les liquidités nécessaires pour payer leurs employés à temps.

Quant aux délais de plusieurs mois évoqués par plusieurs employeurs en 2020, Laurent Paoliello explique: «On est passé d’une dizaine de dossiers de demande de RHT par an avant la crise à des dizaines voire des centaines de milliers.» Il a donc fallu s’adapter: «On a renforcé les équipes en créant une task force dédiée à l’Office cantonal de l’emploi pour étudier les dossiers. Et une autre à la caisse cantonale. Actuellement on est à jour. On est dans les délais.» Et de rappeler que début février, le Canton avait versé plus d’un milliard de francs de RHT depuis mars 2020. Il conclut en signalant la création d’une hotline (022 919 84 00) dédiée aux RHT et répondant aux appels de 8h30 à 11h30.