«Nous sommes là dans une fête de la présence et de l’émotion partagées»
Pascal Décaillet
Il faut d’abord vous dire que je suis un fou de 1848, ayant, avec un confrère, produit et présenté l’ensemble des émissions historiques RSR de 1998 sur le bicentenaire de la République helvétique et les 150 ans de notre Etat fédéral. Emissions décentralisées dans tous les cantons, innombrables lectures sur la Suisse du dix-neuvième, celle où tout se joue et où se fondent les grands partis politiques que nous connaissons aujourd’hui. Radicalisme, socialisme, mais aussi courant catholique conservateur, ancêtre de ce qu’on appelle aujourd’hui le PDC. Fasciné par cette Suisse radicale, institutionnelle, intellectuelle, j’ai longtemps mis un peu de côté le 1er Août. Septembre 1848, première réunion de notre Parlement fédéral, me semblait infiniment plus important qu’une fête dont tout le monde connaît la dimension mythique, justement récupérée au cours du dix-neuvième siècle.
Une fête plurielle
Eh bien, j’avais tort. Parce que septembre 1848, personne ne connaît, à part quelques érudits ou passionnés d’Histoire. Alors que le 1er Août, tout mythique soit-il, nos compatriotes y sont profondément attachés. Non par la raison, mais par la puissance du cœur. Avec ces feux, magnifiques, au cœur de la nuit, nous sommes là dans une fête de la présence et de l’émotion partagées. Ce pays que nous célébrons ensemble, sous les étoiles ou sous la pluie, nous fédère par l’instinct davantage que par la connaissance. C’est une fête plurielle, décentralisée, venue d’en bas, en aucun cas imposée par la Berne fédérale. Fête des communes, des familles, de nos amis étrangers qui se trouvent là et sont les bienvenus dans le partage de la joie. Il y a, dans le 1er Août, un côté bon enfant, dans le meilleur sens du terme, celui d’une simplicité ouverte qui accueille la vie. Et cela, rien que cela, est bouleversant.
Le bonheur d’un moment commun
Bien sûr, nous n’avons ni prise de la Bastille, ni Soldats de l’An II, ni Valmy, ni Jemmapes, ni message universel au monde. Petit pays, infiniment fragile, qui aurait pu éclater en 1916, à l’époque du Général Wille, nous ne tenons qu’à peu de choses, et notre survie n’est absolument pas garantie. Dans le fracas du monde, celui de Gaza comme celui de l’Ukraine, dans le silence étourdissant des morts d’Afrique, que sommes-nous? Tout au plus, la commune présence de quelques âmes. Avec ses feux dans la nuit, le 1er Août, l’air de rien, nous ramène à la fois à notre fragilité, notre statut de mortels, notre innocence de passants. Enfant déjà, le 1er Août en montagne, avec mes parents, je pensais à la mort. Je crois n’avoir cultivé la passion cérébrale de 1848 que pour échapper, un temps, à cela. Aujourd’hui, à travers cette fête à la fois tellurique et ambiguë, simple et subtile, je ne veux voir qu’une chose: le jeu de la vie et de la mort, le bonheur d’un moment commun. A tous, je souhaite une excellente Fête nationale.