Un vol de nuit spécial: le mystère plane

  • En mars dernier, un avion Cessna a survolé le canton à basse altitude durant une partie de la nuit.
  • Sa mission? Effectuer des relevés topographiques. Problème? Il a privé de sommeil de nombreux citoyens.
  • Plus grave, notre enquête révèle qu’il a pu entrer quasiment incognito dans l’espace aérien genevois.

  • Le contrôleur de la circulation aérienne Skyguide était informé du vol dans la nuit du 5 au 6 mars dernier, mais ne connaissait pas l’identité du Cessna. 123RF/18PERCENTGREY

    Le contrôleur de la circulation aérienne Skyguide était informé du vol dans la nuit du 5 au 6 mars dernier, mais ne connaissait pas l’identité du Cessna. 123RF/18PERCENTGREY

  • Un Cessna, pas forcément le modèle sur la photo, a quadrillé l'espace aérien genevois à une vitesse de 250 km/h. DR

    Un Cessna, pas forcément le modèle sur la photo, a quadrillé l'espace aérien genevois à une vitesse de 250 km/h. DR

«Le vol mentionné n’a pas été effectué par Swisstopo. Il semblerait que cela soit le canton de Genève»

Sandrine Klötzli, porte-parole de Swisstopo

Dans la nuit du 5 au 6 mars dernier, une scène digne d’un film d’espionnage s’est produite à Genève. Un petit avion Cessna, parti de l’aéroport français de Lyon pour effectuer des relevés topographiques, a pu voler une partie de la nuit à basse altitude dans le ciel genevois, le tout quasiment incognito. Le pilote avait certes l’accord du contrôleur de la circulation aérienne Skyguide, mais sans que ce dernier ne connaisse son identité. En période de menace terroriste, cette lacune ne peut que préoccuper.

Cacophonie générale

D’autant que du côté de Genève Aéroport, les responsables reconnaissent ignorer l’existence de ce vol de nuit: «Il n’a pas été signalé à notre centre de coordination des opérations, admet la porte-parole Madeleine von Holzen. Ce qui est normal car il n’a pas utilisé nos infrastructures.» Même son de cloche de la part du porte-parole de l’Office fédéral de l’aviation civile: «Nous n’avons délivré aucune autorisation, confirme Christian Schubert. Mais comme le vol a été signalé à Skyguide et que les altitudes minimales semblent avoir été respectées, ce cas n’est pas problématique.»

Pas problématique? Dans ce cas précis, qui peut garantir que les règles d’utilisation du ciel n’ont pas été violées? Et que se serait-il passé si l’avion avait connu un grave problème mécanique? Où aurait-il pu atterrir? A Genève Aéroport? Madeleine von Holzen tente de répondre: «Nous sommes tenus d’accepter tout aéronef en détresse.» Avant de se contredire: «Les décollages et atterrissages sont interdits après minuit et jusqu’à 6 heures.»

De quoi se faire pas mal de souci. D’autant que les zones d’ombre s’épaississent au fur et à mesure que notre enquête avance sur la recherche d’identité de l’avion, son plan de vol détaillé et l’itinéraire de ses va-et-vient inhabituels. Ainsi, chez Skyguide, le porte-parole Vladi Barrosa nous annonce d’abord: «C’est l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) qui octroie les dérogations pour ce type de survol.» Avant de rétropédaler: «Nous avons délivré l’autorisation pour cet avion destiné à effectuer des relevés topographiques pour le canton de Vaud ou la Confédération.» Ensuite, c’est au tour de son collègue Raimund Fridrich d’annoncer: «Ce vol a été mandaté par l’Office fédéral de topographie Swisstopo.» Ce dernier réfute par la voix de sa porte-parole Sandrine Klötzli: «Le vol mentionné n’a pas été effectué par Swisstopo. Il semblerait que cela soit le canton de Genève.»

Dans cette cacophonie générale, nous obtenons finalement l’information de Raimund Fridrich: «Les relevés topographiques ont été effectués par la compagnie Swiss Flight Service sur demande du canton de Genève.» Contacté pour faire la lumière sur cet étrange vol, le Département du territoire d’Antonio Hodgers n’a pas donné suite à notre demande.

«Ronronnement insupportable»

Au Département des infrastructures (DI), en charge de l’aéroport, on préfère aussi botter en touche. Roland Godel, porte-parole du conseiller d’Etat Serge Dal Busco, précise: «Le canton n’est pas concerné par ce type de question, si ce mystérieux avion n’est pas passé par notre aéroport. C’est Skyguide qui dispose de ces renseignements.»

Une absence d’explications et de coordination qui agace au plus haut point Marc*. La fameuse nuit du 5 au 6 mars, il est minuit quand cet habitant d’Onex se fait soudainement réveiller par un bruit suspect: «J’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’un avion. Le ronronnement du moteur était tout simplement insupportable car il faisait des allers-retours incessants au-dessus de ma tête. Cela a duré jusqu’à 5 heures du matin. Très rapidement, j’ai eu le réflexe d’utiliser l’application Flightradar24 sur mon portable, elle m’a informé qu’il s’agissait d’un avion Cessna ayant décollé de l’aéroport de Lyon et volant à une altitude de 1820 mètres. Je constate que la surveillance de l’espace aérien genevois est une véritable usine à gaz. Personne ne sait vraiment ce que faisait cet avion et à qui il appartient. Franchement, je trouve cela flippant.» Il n’est probablement pas le seul.

* nom connu de la rédaction

Aide à la navigation: les prochains contrôles planifiés

Les normes de l’aviation civile internationale imposent de contrôler régulièrement le bon fonctionnement et la précision des aides à la navigation sur les aéroports. A cette fin, des vols de calibrages doivent être régulièrement effectués sous l’égide de Skyguide. Comme l’organisation de ces relevés durant la journée est de nature à perturber le trafic aérien, Genève-Aéroport a obtenu de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) une autorisation exceptionnelle pour les planifier la nuit, après la fermeture de l’aéroport. Les prochains vols auront lieu du 12 au 13 septembre, du 16 au 17 septembre et du 17 au 18 septembre. Pensez à sortir vos boules Quies!