La Terre frémit. D’un côté ceux qui tressaillent à l’idée de ne pas échapper à la peine (un mois ferme du 12 juin au 13 juillet); de l’autre ceux qui n’en peuvent plus de piaffer. Ceux qui ne boudent pas leur plaisir; et ceux qui expriment leur colère. La Coupe du monde de football, grand-messe du ballon-sandwich qui passe tous les quatre ans, constitue sans doute, toutes compétitions confondues, l’événement le plus rassembleur sur la planète – écrans compris.
Quatre ans après l’édition sud-africaine, elle aussi très controversée, ce coup-ci, on a planté le chapiteau au Brésil. La nation par nature d’un certain foot, celui qui fait rêver. Le pays où tout est amour mais où beaucoup ont la haine parmi les 200 millions d’âmes.
Trop de contraste
La Coupe du monde au Brésil, c’est le fantasme du magicien de la balle, pieds nus dans le sable chaud, coucher de soleil, Pain de Sucre en toile de fond et mont de Vénus sous peu de tissu. Que la fête commence! Les clichés sont impeccables, la définition nette. Mais c’est au niveau du contraste que la photographie pèche. Trop de contraste entre le message et la méthode, le slogan brandi («Tous au même rythme») et la réalité, plus dure. Sur le papier, la quintessence du rêve. Sur le terrain, et on ne parle pas de gazon, la fureur devant tant d’inégalités.
A chaque génération ses idoles
Un Mondial au Brésil, c’est aussi la fièvre Panini qui se répand dans les cours d’école, notre part d’enfance à tous qui s’allume. A chaque génération ses idoles, ses souvenirs dramatiques ou lumineux: Pelé champion du monde à 17 ans, Zico génie maudit à jamais avec la flamboyante Seleção des années 1980, le phénomène Ronaldo ensuite et, aujourd’hui, l’héritier Neymar, 22 balais et une crête sur le crâne, prédestiné à offrir un sixième titre suprême au peuple. Mais en attendant, le peuple gronde.
Cadeau empoisonné
Lorsque le Brésil a «reçu le cadeau» voici sept ans – puis les JO d’été de Rio 2016 dans la foulée –, le monstre émergeant se trouvait à l’apogée de la présidence Lula. Aujourd’hui, Dilma Rousseff, très embarrassée par ce lourd héritage médiatico-sportif, essuie les critiques habituelles: au final, l’affaire aura coûté davantage (13 milliards de francs) qu’elle ne rapportera aux masses. La cheffe de l’Etat explique à ses compatriotes qu’il leur restera des routes toutes neuves, des aéroports modernes et un stade de 40’000 places au cœur de la forêt amazonienne. Les dirigeants de la FIFA ferment les yeux sur les retards et autres inquiétudes logistico-sécuritaires et implorent les Brésiliens, assez maladroitement, de se tenir tranquilles pendant la manifestation.
Et nous, on fait quoi dans tout ça? On se peint des petits drapeaux sur les joues, on prépare les barbec’ et on danse la samba en pariant sur les exploits de Xherdan Shaqiri avec l’équipe de Suisse (pourvu que la cuisse tienne...)? Ou on culpabilise parce que, comme toujours, des gens ont été délogés dans des conditions scandaleuses?
Nous, on s’accroche à Garrincha, petit oiseau alcoolique et boiteux qui fut sans doute le dribbleur le plus déroutant de l’histoire avec cette jambe gauche plus courte de 6 centimètres et cette colonne tordue. On s’accroche à Garrincha, alter ego écorché de Pelé, parce qu’il fut plus que tout autre l’idole des couches populaires, proche des défavorisés puisqu’il en fut un. On s’accroche à Socrates, qui en plus d’avoir été l’un des plus élégants milieux de terrain, fut un docteur farouchement engagé contre la dictature militaire (1964-85). On s’accroche à notre part d’enfance tout en sachant qu’il y aura des images pour adultes. Et la Terre, elle, va continuer de frémir.