Aimons nos chorales!

PATRIMOINE • En hommage à André Charlet (1927-2014), décédé ce lundi 24 février, une ode à la Suisse romande du chant. Et Genève, où fourmillent les chorales, n’est pas en reste!

  • André Charlet lors de la 17e Schubertiade à Porrentruy, en 2011. RTS

    André Charlet lors de la 17e Schubertiade à Porrentruy, en 2011. RTS

«Les Romands ont le chant chevillé au corps»

Pascal Décaillet

Et si la Suisse romande était le pays des chœurs? Pays des bois, des cordes et des vents, et du bonheur extrême, physique, de chanter ensemble, au sein d’une chorale. De Genève à Delémont, de Bulle au Brassus, de Sierre à Neuchâtel, impressionnante est la densité, au kilomètre carré, des sociétés de chant, chœurs d’hommes, de femmes, ensembles mixtes, chant sacré, folklore, baroque, klezmer, musique ancienne, gospel, jazz. Oui, les Romands ont le chant chevillé au corps, nul ne l’a mieux dit qu’Emile Jaques-Dalcroze, et Genève n’est pas en reste.

J’écris ces lignes en hommage à André Charlet, l’inoubliable fondateur du Chœur Pro Arte, mais aussi des Schubertiades. Charlet, l’homme qui a dirigé la Chorale du Brassus et le Chœur de la Radio Suisse Romande. Et qui vient de nous quitter, lundi 24 février, à l’âge de 87 ans.

Une figure

Grand, beau, puissant, communicatif, un être de partout habité par la musique. Autour de lui, régnait comme un rayonnement de bonheur. Celui de s’emplir les poumons et de vivre au souffle de la musique. Les Romands aiment cela, passionnément. Pour le seul canton de Genève, innombrables sont les chorales, et d’avance je prie les intéressés de ne pas m’en vouloir si je n’en cite ici que quelques-unes. Cercle Choral, Cantus Laetus, Chant Sacré, Psallette, Cappella Genevensis, Cercle Jean-Sébastien Bach, Motet, Liderkranz-Concordia (qui fêtait magnifiquement Verdi, pour son bicentenaire l’an dernier), Chœur de la Cathédrale, et toutes les autres, oui je sais Madame, j’ai oublié la vôtre, je suis un misérable.

Le pays du chant

En Suisse romande, on chante partout. Dans les cantons catholiques aussi bien que protestants, dans les villes comme dans les campagnes, sur le Plateau comme sur l’Alpe. Quelques figures me traversent, comme Pierre Ronget, Maire de Vernier et député, mais aussi Archonte Protopsalte et chef d’un chœur orthodoxe. On chante à côté de son boulot, on trouve du temps le soir, les dimanches. On a intégré cela au rythme de sa vie. A Genève, on réinvente au milieu de l’anonymat urbain de vibrantes cellules fraternelles de convivialité. J’ai cité le grand Jaques-Dalcroze, l’auteur du Pays romand ou C’est si simple d’aimer, mais il y en a tant d’autres, de l’Abbé Bovet à de remarquables contemporains. Et puis, il y eut notre grand Charles-Albert Cingria (1883-1954) qui, au milieu d’une œuvre unique, nous lègue des milliers de pages d’érudition sur l’écriture musicale. Oui, nous sommes bien le pays du chant, celui d’une Jérusalem Céleste où chaque note se découperait à l’infini.

Une belle leçon

En lançant à Champvent, en 1978, les Schubertiades, et en tenant le pari pendant 35 ans, Charlet nous a donné une leçon. Avec son équation mêlant simplement Schubert et Suisse romande, il projette génialement l’universel sur le particulier. Il invite notre coin de pays, que d’aucuns disent fermé, à s’ouvrir au chant du monde. Il nous dit, à chacun de nous, que nous sommes détenteurs d’un trésor. Prenons Genève. Prenons l’étonnante floraison des chorales qui s’y trouvent. Et si elles n’étaient rien d’autre que le diamant caché de nos âmes ? Livré en offrande. «De tout notre cœur, et tout simplement».