Genève, ton industrie fout le camp!

GLOBALISATION • Le destin de l’industrie ne doit pas se jouer sur un tapis de casino. Mais autour des talents, des énergies, de la puissance d’invention d’une communauté humaine. Il nous faut réinventer le concept d’économie nationale!

  • Genève doit sauver l’esprit industriel. 123RF/BLOODUA

    Genève doit sauver l’esprit industriel. 123RF/BLOODUA

Du lundi 6 au jeudi 9 novembre, j’ai consacré quatre éditions successives de Genève à chaud au véritable démantèlement qu’est en train de subir l’industrie genevoise. Je me suis concentré sur l’exemple d’ABB Sécheron, dont on connaît le train de suppressions d’emploi, avec délocalisation d’activités dans la ville polonaise de Lodsz. Mais on peut ajouter Givaudan, fleuron de l’industrie du parfum à Genève. Et tant d’autres exemples! Au fil des années, que reste-t-il d’un secteur secondaire qui fit, naguère, la fierté de notre canton? Nos autorités, chargées de l’économie, ont-elles bien pris la mesure de la gravité des événements? Se sont-elles montrées anticipatrices? Ont-elles vu venir les drames sociaux qui menacent certaines entreprises? Ont-elles, pour l’avenir, la justesse de perspective qui s’impose?

Logique multinationale

Il ne s’agit pas de se cramponner à une vision de l’industrie puisée dans l’univers romanesque de Zola, celui des gueules noires, ni d’idéaliser le bleu de travail autour d’une machine de production aux gestes mille fois recommencés. Bien sûr que le monde change! Pour autant, la métallurgie n’est pas morte. Ni l’extraction de matériau, ni la transformation de ce dernier pour construire des machines, des voitures, des trains, des ascenseurs, des trams, des bus. La preuve: la ville polonaise de Lodsz est jugée digne, elle, de le continuer, ce travail! Avec, on l’imagine aisément, des salaires et des coûts de productions infiniment moindres que chez nous. Ainsi fonctionnent les multinationales, c’est leur principe, leur logique.

Ringard?

Face à cette conception, planétaire, où le rendement financier l’emporte sur toutes choses, il nous appartient, à Genève comme ailleurs, de réinventer le concept, jugé ringard par une clique de mondialistes, d’économie nationale. Entendez, la production industrielle, ou agricole, au service prioritaire des populations de proximité. Au service des individus, des familles, de la cohésion sociale. Et non au service de l’actionnaire, qui veut optimiser son profit, et peu importerait le lieu de production! Sécheron, à Genève, c’est notre histoire, nos émotions d’enfants qui visitaient ces usines, nos proches parfois qui y travaillaient. C’est notre patrimoine, notre mémoire. Au même titre qu’un musée, après tout. Dans les mêmes locaux que j’ai visités au milieu des années soixante comme lieu de production industrielle, j’ai vu, trente ans plus tard Patrice Chéreau et Pascal Greggory, dans l’inoubliable interprétation de La Solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès. Sublime grandeur de la friche industrielle, lorsque que la création continue, portée par d’autres énergies, vers d’autres horizons.

C’est cela que Genève doit sauver. L’esprit industriel. Quel que soit le produit fabriqué. Cela passe par des hommes et des femmes, des passions, des risques, de la confiance. Cela, aussi, que nos autorités doivent comprendre: ce capital-là, nourri d’estime et d’inventivité, vaut bien tous les profits du monde, sur toutes les actions, jouées en bourse. Comme on jetterait des perles. A des pourceaux.