La droite, la gauche, ça existe!

GOUVERNEMENT • Entre les deux tours de l’élection au Conseil d’Etat, fleurit l’idée d’une législature de compromis entre la droite et la gauche. C’est un leurre. Actionné par la pure tactique de ceux qui, seuls, n’ont pas la majorité.

  • Sur des sujets importants, gauche et droite se doivent de trouver des compromis. FRANCIS HALLER

    Sur des sujets importants, gauche et droite se doivent de trouver des compromis. FRANCIS HALLER

La lutte des classes: deux siècles après la naissance de Karl Marx (5 mai 1818, Trèves, Rhénanie), ces mots font peur aujourd’hui. Ou alors, ils apparaissent comme désuets. Reliquat du XIXe siècle, de la Révolution industrielle, des grèves de mineurs dans le nord de la France, de la Révolution russe de 1917, allemande du 9 novembre 1918. Ou, chez nous, souvenir de la grève générale organisée par le Comité d’Olten, ce même mois de novembre 1918, qui a divisé pour longtemps les Suisses, traumatisé la bourgeoisie de notre pays, donné des rêves de grand soir à la gauche. La Suisse, pays de compromis, n’aime pas la lutte des classes. Elle se prévaut de régler les choses autrement, par la concertation.

Grande coalition?

Dans la Genève de ce début mai 2018, un siècle après la grève nationale, on la regarde toujours de travers cette lutte des classes. Oh, peut-être pas dans la gauche de la gauche, ni à l’opposé chez les ultralibéraux. Mais enfin, entre deux, on commence à entendre poindre, au sein de ceux qui aspirent à gouverner, la traditionnelle ritournelle centriste des «passerelles» entre la gauche et la droite. Le socialiste Thierry Apothéloz, homme d’exécutif depuis quinze ans à Vernier, et très sérieux candidat au Conseil d’Etat, a même dessiné, en direct dans Le Grand Genève à chaud du dimanche 22 avril, dans un débat face à Nathalie Fontanet, les contours d’une «grande coalition» à la genevoise. Sur des sujets sectoriels mais importants, droite et gauche pourraient trouver des compromis, histoire de contourner le fameux statut d’arbitre du MCG.

Rassembler les énergies

La grande coalition, c’est une référence à l’Allemagne des années 1966-1969, avec Kurt-Georg Kiesinger (CDU) à la Chancellerie et Willy Brandt (SPD) à la vice-Chancellerie et aux Affaires étrangères. L’idée, très suisse au fond, est qu’il faut rassembler les énergies, et travailler ensemble. Le problème, c’est que lorsque les partis appellent à une coalition avec l’adversaire électoral, ça n’est jamais par philosophie politique, mais simplement parce que seul, leur camp n’obtient pas la majorité. Alors, on brandit le cerf-volant magique de la concertation. C’est purement tactique, dans l’Allemagne des années 1960 comme dans la Genève du printemps 2018. Dès que surgiront les vrais problèmes de la législature, économiquement lourds, réforme de l’imposition des entreprises, caisse de pension des fonctionnaires, fiscalité, on les verra vite se déchirer, ces voiles célestes de la concorde. Et revenir, comme toujours, les bons vieux antagonismes d’intérêts en fonction des catégories sociales.

Centre... inexistant

Car la droite et la gauche, depuis la Révolution française et la Convention, ça existe! Et rien, dans la nouvelle composition du Grand Conseil (2018-2023) n’indique une quelconque liquéfaction de ces repères. Pas plus que la traditionnelle fable d’un gouvernement par le centre, où un improbable Marais poitevin ferait office de clef de voûte. Cela, pour une raison simple: le centre, c’est comme la solitude chez Gilbert Bécaud, ça se chante bien, mais ça n’existe pas.

N’oubliez pas, tout de même, d’aller voter!