La meute, ça n’est pas du journalisme!

HARCÈLEMENT • En privilégiant les «témoignages anonymes» sur le travail de la justice, en menant la chasse contre un homme, jusqu’à obtenir son départ, les médias romands n’ont pas servi le journalisme d’intérêt public.

  • Dans l’affaire Buttet, le journalisme ne sort pas gagnant. 123RF/MACOR

    Dans l’affaire Buttet, le journalisme ne sort pas gagnant. 123RF/MACOR

Après quelques semaines dans le rôle du gibier de chasse à courre, Yannick Buttet a donc choisi de démissionner. On l’eût fait à moins. Acculé de toutes parts, jeté en pâture aux hurlements, livré à l’hallali, le conseiller national valaisan a fini par donner à ses persécuteurs ce qu’ils cherchaient à obtenir: sa démission du Parlement fédéral. A peine, d’ailleurs, l’annonçait-il, que les corps de chasse autoproclamés se mettaient déjà à exiger son départ de la présidence de la Commune de Collombey-Muraz, prouvant ainsi leur dessein d’aller jusqu’au bout dans la destruction d’un homme.

Cette hargne, face à une proie, ne relève en aucune manière des missions du journalisme, mais de l’esprit de meute le plus féroce, le plus haïssable, le plus contraire à la définition de l’intérêt public. La profession, assurément, ne sort pas gagnante de ce lamentable épisode de fin d’automne.

Rumeurs...

Car il y a eu meute, et singulière jouissance à en être. Dans l’affaire de Sierre, qui relève strictement de la vie privée, il y a une plainte. Fort bien. On devait attendre qu’elle fût instruite, donnât lieu à un procès, une condamnation, et même patienter jusqu’à ce que cette dernière fût définitive, une fois épuisés les échelons de recours de notre Etat de droit. Dans le volet bernois, nulle plainte, du moins à notre connaissance. En lieu et place, des rumeurs. Des «témoignages anonymes». Peut-être fondés. Et puis, peut-être pas. Qu’en savons-nous? Et puis, quoi! Ces choses-là, si elles sont dénoncées, relèvent de la justice, seule habilitée à enquêter, démêler le vrai du faux, un jour juger, et peut-être condamner. Ce travail est celui des juges. Il ne saurait être, sous prétexte «d’investigation» (mandatée par quelle légitimité?), celui des médias. Et c’est exactement là, dans le confluent de ces impostures, que commence l’esprit de meute.

Deux perdants

Dans cette affaire, quelques journalistes, fonctionnant de facto en une sorte de pool (où chacun cite l’autre, amplifiant une affaire par eux-mêmes créée), ont voulu la peau d’un homme. Il y aurait beaucoup à dire sur les véritables motivations de ces chasseurs acharnés: les unes sont internes à la politique valaisanne, les autres sont faites de concessions à l’esprit du temps, notamment une idéologie de guerre entre les sexes, nourrie par quelques extrémistes. Au final, tous les ingrédients d’une conjuration contre un élu, au demeurant remarquable, du peuple suisse.

Bien sûr, l’homme avait commis des fautes. Pour Sierre, peut-être une faute contre la loi, nous verrons. Pour Berne, des «fautes morales», autant dire qu’elles laissent la place à des galaxies de subjectivité, tant qu’un juge, sur la base d’une plainte, n’a pas statué. La meute, c’est jouer sur l’opinion avant le droit, privilégier la rumeur sur l’information, tabler sur le «témoignage anonyme», indigne de la transparence républicaine. Dans cette affaire, il y a deux perdants: Yannick Buttet, mais aussi le journalisme en Suisse romande.