La religion du libre-échange, c’est fini!

Trop longtemps, les accords concoctés par Berne passaient comme des lettres à la poste, presque en catimini. Aujourd’hui, le peuple veut des frontières. Une protection pour nos paysans. Et un contrôle démocratique. La fin d’un dogme.

  • 123RF/EVGENIY DZYUBA

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Ouvrir la Suisse à tous les marchés du monde, permettre à nos industriels d’exporter, multiplier les passerelles commerciales avec l’étranger, c’est la vision qui, depuis des décennies, régit la politique économique de notre pays. Cette conception ne tombe pas du ciel, elle a une histoire bien précise, avec son enchaînement de causes et d’effets. Après la Seconde Guerre mondiale, et six années de fermeture des frontières, la Suisse, au milieu d’une Europe en ruines, où régnaient la faim, les privations, les tickets de rationnement, et même le manque de charbon pour affronter plusieurs hivers particulièrement froids, a éprouvé le besoin de multiplier les accords, s’ouvrir, diversifier les partenaires. A l’époque, elle a vu juste: il en allait de sa survie.

Accords vitaux...

Cette stratégie d’ouverture, pendant des dizaines d’années, s’est renforcée. En 1957, c’était le Traité de Rome, avec six pays fondateurs de la Communauté économique européenne (France, Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas), aujourd’hui Union européenne. La Suisse n’en était pas. Il a fallu qu’elle se fraye des pistes dans le grand monde, elle a signé des accords de libre-échange, et là aussi elle a vu juste. Au fond, notre pays s’est comporté comme un petit entrepreneur, ne devant compter que sur son énergie propre, son réseau, pour s’en sortir. C’était l’époque où peu de gens contestaient le bien-fondé de ces accords: tous comprenaient à quel point ils étaient vitaux.

... puis une tyrannie

En 2019, la situation a radicalement changé. La Suisse a multiplié les accords de libre-échange, les parlementaires se sont souvent contentés d’avaliser le travail de négociations des fonctionnaires, les référendums n’ont pas été saisis, on a laissé faire. Et au final, bien que le peuple eût pu réagir, l’impression dominante est celle d’une politique du fait accompli, d’une absence criante de contrôle démocratique, d’un défaut de vision politique sur certains pays avec qui on signe, en un mot d’une tyrannie du dogme libéral, au détriment de la justice sociale et environnementale. L’accord, dont on parle tant ces jours, entre la Suisse (via l’Association européenne de libre-échange, AELE) et le Mercosur (Marché commun de l’Amérique latine: Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) constitue une caricature du genre, créant un déséquilibre crasse entre l’intérêt des exportateurs industriels, favorisés, et l’abandon de nos paysans, laissés en proie aux importations massives de viande bovine d’Amérique latine.

Contrôle démocratique

Bref, aujourd’hui, le libre-échange ne passe plus. Et la congrégation pour la doctrine de la foi libérale ne parvient plus à berner les gens, avec son dogme de l’ouverture et ses promesses de miracles. En 2019, en Suisse, les gens veulent des frontières. De la protection. Du respect et de l’aide pour nos paysans. Une conception sociale et environnementale des rapports internationaux. Ils veulent aussi un contrôle démocratique: plus question de passer des accords en catimini à Berne, comme s’ils n’étaient qu’affaires d’experts et d’entre-soi. En un mot comme en mille, la religion du salut par le libre-échange, c’est fini.