Le bobo, vous connaissez? Portrait

Insensible au tragique de l’histoire, doux et végétarien, le bobo fait corps avec son vélo. Rien ne compte, pour lui, que l’extase silencieuse d’une piste cyclable, menant vers une humanité nouvelle, délivrée du mal.

  • Le bobo prône le règne du vélocipède. 123RF/GSTOCKSTUDIO

    Le bobo prône le règne du vélocipède. 123RF/GSTOCKSTUDIO

Le bobo habite en ville. Le plus près possible du centre. Près de la gare, mais pas trop, c’est mal famé. Le bobo (bourgeois bohème) aime la ville, son anonymat, son cocon protecteur, le champ de tous ces possibles qu’il contemple de son vélo, si possible électrique. Car le bobo se meut: pas question de demeurer immobile, ni sédentaire, quand la vie est là, qui vous appelle, avec ses promesses de cocktails, de mojitos, de légumes et céréales métissés, comme un chant recommencé du vaste monde. Le bobo ne dédaigne pas de se mouvoir, pourvu que la mobilité soit douce, silencieuse, conforme aux impératifs de l’urgence climatique. On ne doit entendre que la caresse des pneus, joueuse, sur l’épiderme érectile du macadam. Ne claxonnez jamais le bobo, son cœur est fragile.

Le bien et rien que le bien

Le bobo n’aime pas la violence. Il condamne le principe de la guerre, tient cette dernière pour une erreur de l’humanité, à corriger au plus vite. Le bobo n’étudie donc ni les conflits, ni l’histoire, ni les traités, ni les alliances. Du passé, il veut faire table rase. Du haut de son jus de carottes où baigne la fière verticalité d’une tige de céleri, le bobo décrète la fin de l’histoire, l’avènement d’une humanité nouvelle, délivrée du Mal.

Car le bobo aime le bien. Il entend sauver la nature, la couche d’ozone, réduire son bilan carbone, limiter le nombre de watts auxquels nous aurions droit, chacun, pour une année. Il veut chasser des villes le trafic privé, voitures, motos, scooters, comme autant de suppôts de Satan. Le bobo se bat pour le salut de nos âmes. Si nous avons le mauvais goût de rouler dans une automobile, c’est que nous sommes encore dans les griffes de l’archaïsme, hommes et femmes d’un autre temps, en attente de la délivrance par laquelle le bobo, lui, est passé. Il n’est pas notre ennemi, il nous précède.

Après l’avion, le train

Le bobo n’est pas une brute inculte. Tenez, il aime Berlin par exemple. Pendant vingt ans, tout en roulant à vélo en ville, il a pris quarante fois une compagnie à bas coûts pour des week-ends festifs dans la capitale de l’Allemagne. Dans laquelle il a pu se pâmer d’admiration devant le règne du vélocipède. Mais, depuis quelques mois, il a pris conscience que l’avion, c’était mal. Désormais, le bobo prendra le train de nuit, via Bâle et Mannheim. De retour à Genève, il sanctifiera la mobilité douce de la ville prussienne, tout en pestant contre ces insupportables camionnettes de livraisons qui se permettent de venir polluer la cité de Calvin. Car le bobo n’aime pas les livreurs. Ni les bruits des camions. Ni le monde de l’industrie, ni celui des chantiers. Au bleu de travail prolétarien, il préfère le bleu du ciel, au-dessus de l’infini d’une piste cyclable.

Zéphyr de bonheur

Le bobo n’aime pas le bruit, ni le monde des ouvriers. Pour nourrir sa réflexion sur l’écologie politique, il a besoin de silence, d’air pur. Juste le souffle d’une chambre à air, comme un zéphyr de bonheur. Longue vie au bobo, dans une humanité renouvelée, délestée du péché, plein cap sur la félicité, toutes voiles dehors.