Le langage du peuple

COMMUNICATION • Parler avec simplicité, mais sans simplisme: telle est la secrète alchimie du langage politique. Savoir parler à tous, sans s’interdire l’humour, ni l’émotion. Cela n’est pas facile? Cela s’apprend!

  • Faire de la politique implique l’usage d’un langage simple qui parle à tous. ISTOCK/KASTO80

    Faire de la politique implique l’usage d’un langage simple qui parle à tous. ISTOCK/KASTO80

La politique, c’est l’art d’organiser la vie dans la Cité. Donc, ça nous concerne tous. Toutes les citoyennes, tous les citoyens. Certains sont instruits, d’autres moins, il en est même qui savent à peine lire: tous, pourtant, ont le droit de participer à la vie publique. Celui d’exprimer leur opinion. Celui, surtout, de voter. Faire de la politique, c’est s’adresser à tous. Pas seulement à ceux qui ont lu Thucydide, Tocqueville ou Fichte. Non: tous! Cela implique l’usage d’un langage simple, ce qui ne veut pas dire simpliste! Un style direct, sans langue de bois. La langue des gens, dans la rue. Avec, pourquoi pas, une part d’émotion, d’image, d’humour: il n’est écrit nulle part que le message politique doive ressembler à l’expression opaque d’une constipation retenue, en latin, pourquoi pas en hexamètres, tant qu’on y est.

Des mots limpides

Je dis «simple», je ne dis pas «simpliste». On peut parfaitement, avec des mots de tous les jours, accessibles, clairs, exposer, dans toute la rigueur du contenu, des enjeux complexes. Cette alchimie, pour ceux qui n’en seraient pas immédiatement dotés, s’apprend. De même qu’un jeune journaliste doit se rompre à traduire en mots limpides le sabir que lui concoctent si souvent les autorités et l’administration, par écran de fumée. Rien ne m’horripile plus que de percevoir, dans l’article d’un confrère, le copié-collé d’un document officiel: non seulement ça colporte tel quel le message du pouvoir, mais surtout ça dénote un défaut d’indépendance. L’écriture, journalistique ou non, qu’est-elle d’autre, au fond, qu’un acte d’affranchissement?

La langue de la rue

Simple, et non simpliste! La simplicité doit être dans la forme, au service du fond, dans toutes ses nuances. Elle doit viser à inclure le plus grand nombre de récepteurs du message, non à les rabaisser en leur tenant un langage de cocher. L’image oui, l’humour encore plus, l’émotion, mais tout cela au service du contenu. Parler le langage de tous, ça n’est pas être vulgaire. Ce serait, plutôt, être dans la vulgate, entendez la langue de la rue, par opposition à l’enchantement magique, mais peu déchiffrable, de quelque liturgie. Méfions-nous des grands mots compliqués, de toute cette lourdeur lexicale des rapports administratifs et des commissions d’experts. Parlons, entre nous, lorsque nous évoquons les choses de la Cité, le langage des gens.

Sans artifice

Simple, et non simpliste: c’était l’immense vertu de François Mitterrand sur Michel Rocard. Le premier s’adressait à tous. Le second (que j’appréciais infiniment, et ai maintes fois interviewé) nous écrasait d’un jargon technocratique. Au suffrage universel, le premier modèle passe assurément mieux! On ajoutera enfin que rien n’interdit de s’émouvoir, pour peu que le sentiment transmis soit réellement vécu: dans le cas contraire, le public, qui est tout sauf idiot, n’a pas son pareil pour déjouer l’artifice, dénoncer la supercherie.

En un mot comme en mille, politiciennes, politiciens, soyez vous-mêmes, ne composez surtout pas de personnages. Parlez-nous avec simplicité. Mais… sans simplisme.