Populiste: c’est toujours l’autre

OPINION • C’est celui dont tout le monde parle, mais qui n’est jamais là. Entre gens de bonne compagnie, on casse sur lui des tonnes de sucre. Sans s’imaginer, une seule seconde, qu’il y a peut-être un populiste dans la salle.

  • Le populiste est souvent pointé du doigt. 123RF/ANTONIO GUILLEM

    Le populiste est souvent pointé du doigt. 123RF/ANTONIO GUILLEM

Le populiste n’est jamais dans la chambre. Il est l’étranger, l’invisible emmerdeur

Je vais vous dire pourquoi je ne fréquente plus le monde. Pour une raison simple: ne plus jamais me retrouver dans ces situations ubuesques où tout le monde se met à parler des populistes, évidemment en mal, sans que personne ne se demande, une seule seconde, s’il n’y a pas, peut-être, un populiste dans la salle.

Celui dont tout le monde parle, mais qui n’est jamais là

Imaginez une tablée de quinze personnes, maîtresse de maison délicieuse, convives charmants, nectars de rêve, ambiance détendue. Soudain, l’un des quinze lance la conversation sur le populisme. Ces mouvements recueillant près d’un tiers des voix dans nos pays, il devrait, statistiquement, se trouver cinq populistes à table. Las, il n’y en a aucun! Evaporé, le tiers état! A moins d’un solitaire courageux, qui n’ait pas peur de casser l’ambiance et de foutre en l’air l’unisson bourgeois de la tendre chère, nul n’osera s’avouer. Et les quinze, d’une même voix, continueront de casser du sucre sur le populiste. Vitupérer l’éternel absent. Ou plutôt, l’éternel muet.

Discordance

Le populiste, c’est celui dont tout le monde parle, mais qui n’est jamais là. Ou alors, il se tait, parce qu’il sait la catastrophe que serait la discordance de son intervention. Alors, s’en voulant de ne pas jouer Le Misanthrope, il préférera le rôle de Philinte, l’ami arrangeant, qui tente de sauver l’ultime espoir social de l’homme sauvage. Car nos codes, hérités des bonnes manières patriciennes, exigent que la petite musique de la mondanité, badine et taquine, s’emploie à toujours bannir le choc d’idées frontal. Ces gens-là vivent dans la terreur de l’éruption d’un Alceste ou d’un Cyrano, un incongru qui, soudain, viendrait mugir les choses telles qu’elles sont, un empêcheur de câliner en rond, dans la tiédeur du consensus.

Alors voilà, le populiste n’est jamais dans la salle. Le populiste, c’est toujours l’autre. On casse du sucre sur son dos, sans qu’il élève la moindre protestation. Et l’auguste tablée, au moment de prendre congé, se félicite de cette merveilleuse soirée, de l’humanisme de cette compagnie: entre soi, on a célébré le convenable, on a défini la nature du diable, on peut aller se coucher.

Le populiste n’est jamais dans la chambre. Il est l’autre, l’étranger au monde, le casseur de codes. Il est la fausse note. Il est l’invisible emmerdeur, celui dont il sied de dire du mal, mais qui, chez ces gens-là, n’a droit ni à surgir, ni à se dévoiler, ni même à être. Nul droit à la parole, non plus, ni même à la mention: «Voyons, Oscar, vous vous rendez compte qu’avec des propos pareils, sur la démocratie directe, les corps intermédiaires, vous faites le jeu des populistes?» Car chez ces gens-là, on peut sans problème «faire le jeu» du libéralisme le plus sauvage, ou de la gentille démocratie chrétienne, ou de la Sainte-Alliance des Verts avec le climat. Mais pas des populistes. «Vous nous décevez Oscar, je n’aurais pas cru cela de vous.» Alors, Oscar se tait. Gorgé de repentance, il attend le dessert. Comme d’autres attendent la fin du monde.