«Pourquoi je rejette Mai 68»

JUBILE • L’éruption libertaire de petits-bourgeois du Quartier latin n’a rien d’une révolution. Elle a même conforté l’ordre social libéral. A l’heure des éloges nostalgiques, contre-pied total. En quatre points.

  • Une barricade dressée dans une rue de Bordeaux lors des manifestations. COMMONS WIKIMEDIA/TANGOPASO

    Une barricade dressée dans une rue de Bordeaux lors des manifestations. COMMONS WIKIMEDIA/TANGOPASO

Mon opposition à Mai 68 est totale. Elle date des événements (j’allais sur mes 10 ans, et les ai suivis de près), n’a cessé de se renforcer en un demi-siècle. Elle est non-négociable. Au moment où les nostalgiques nous agitent, une nouvelle fois, le caléidoscope de la rétrospective, il m’apparaît nécessaire de rappeler les raisons qui m’amènent à un rejet sans appel de ce mouvement, et surtout de l’idéologie qu’il a porté, ensuite, pendant des décennies. Je pourrais en recenser des dizaines, il me faudrait écrire un livre, qui serait un pamphlet d’une rare violence. En attendant, en voici déjà quatre.

Pas une révolution

Les étudiants, dans les rues, prétendaient explicitement à une révolution politique, soit au remplacement d’un ordre social par un autre. Ils n’y sont absolument pas parvenus. Dès que les ouvriers ont obtenu, grâce aux Accords de Grenelle, une augmentation inespérée (35%) du salaire minimum, ils ont aussitôt laissé tomber les petits-bourgeois du Quartier latin. Pire: aux élections de juin, un mois plus tard, la France, qui avait pris peur, a envoyé à l’Assemblée nationale la majorité la plus conservatrice depuis 1919. Ce furent les très tranquilles années Pompidou. Comme révolution, on fait mieux.

Le désordre libertaire, ça n’est pas la République

Je suis fondamentalement républicain, très attaché aux valeurs de la Révolution française. Mais la République, pour atteindre ses idéaux d’égalité des chances, a besoin de l’ordre social. La dialectique entre pensées adverses, excellente en soi, c’est dans les espaces institutionnels prévus à cet effet qu’elle doit s’exercer. Pas dans la rue. Pas en incendiant des voitures. Pas en paralysant le pays.

Rien à voir avec la gauche

Rien, ou très peu. Les vociférations de rue des étudiants ne sont pas l’expression du vieil antagonisme gauche-droite, porté par la Convention, avec ses Jacobins, ses Montagnards et ses Girondins. D’ailleurs, la gauche ouvrière détestait ces éruptions de petits révoltés. Le reste de la gauche (François Mitterrand, et même Pierre Mendès France) est passé à côté des événements, tout comme d’ailleurs les droites. Mai 68, c’est un épisode, joyeux et printanier, du vieux mythe parisien des Barricades, celles de 1830, 1848, 1870 et 1944 (Libération de Paris). Beaucoup des leaders de Mai sont devenus, par la suite, des patrons libéraux, fort peu soucieux, pour certains, du bonheur social de leurs employés.

L’école détruite

Que certaines chaires parisiennes fussent, en 1968, aux mains de mandarins tout-puissants, c’est exact, et les étudiants n’avaient pas tort de le dénoncer. Mais, au-delà des événements de ce printemps-là, l’esprit de Mai a colporté, pendant des décennies, tout le charivari idéologique qui a fait tant de mal à l’école, et pas seulement en France: méthodes «globales» plutôt qu’analytiques dans l’enseignement des langues, abandon des repères chronologiques en Histoire, obsession des structures, etc. Je pourrais multiplier les exemples. Tout cela est bien court, j’en suis conscient. Il me faudrait écrire un livre, oui. Un pamphlet. En aurai-je l’énergie? A tous, excellentes Fêtes de Pâques!