Robert Ducret, l’âme des radicaux s’est envolée

CARNET NOIR • Hommage à un homme populaire et attachant, qui a passionnément servi sa Ville de Carouge, son Canton de Genève, et la Suisse. Dernier Mohican d’un radicalisme cassoulet, joyeux, celui qui sent la rue, et la vraie vie des gens.

  • Après avoir renoncé à la politique, Robert Ducret avait remis sa salopette pour aller livrer du mazout. GASSMANN/DR

    Après avoir renoncé à la politique, Robert Ducret avait remis sa salopette pour aller livrer du mazout. GASSMANN/DR

Un homme simple, aimant les gens, passionné par l’Etat. Tel était Robert Ducret (1927-2017), qui vient de nous quitter à l’âge de 90 ans. J’ai eu la chance de le connaître, et de l’inviter maintes fois, ces vingt dernières années, dans mes émissions radio (Forum, RSR) ou télévision (Genève à chaud, Léman Bleu). Chacune de ces rencontres était pour moi un petit moment de bonheur. Toujours présent, toujours prêt pour commenter l’actualité, l’homme, tout en restant parfaitement courtois et en n’attaquant jamais les personnes, disait les choses, y compris celles qui dérangent. C’était un sage, mais aussi, jusqu’au bout, un homme d’action, qui avait, depuis son entrée en 1955 au Conseil municipal de Carouge, une passion intacte, ardente comme au premier jour, de la chose publique.

Battu par Delamuraz

Il fut député, conseiller d’Etat, conseiller aux Etats. Rival malheureux de Jean-Pascal Delamuraz (53 voix, le 7 décembre 1983), il avait même brigué le pouvoir suprême. J’affirme ici qu’il eût fait un excellent conseiller fédéral, ce que d’ailleurs le Vaudois fut. Mais ce qui compte ici, c’est de prendre congé, non seulement d’un homme souriant, chaleureux et attachant, mais de l’un des derniers Mohicans de la très grande aventure radicale à Genève, celle de James Fazy, de Guy-Olivier Segond, sans doute aussi de François Longchamp et Pierre Maudet: la lignée de ceux qui aiment passionnément l’Etat, la République, l’institution. A quoi s’ajoute un élément irremplaçable, fondateur: la vision diachronique, entendez la connaissance de l’Histoire. Celle de Genève, celle de la Suisse. Au moins. En sachant qu’il n’est franchement pas interdit de tourner ses regards vers l’Allemagne de Willy Brandt ou la Quatrième République de Pierre Mendès France.

Un homme chaleureux

Ce qui s’envole avec Robert Ducret, c’est l’âme, à la fois légère et grognarde, du radicalisme. Ce parfum de cassoulet, de tutoiements, de vraie proximité, ce souffle de vie surgi du peuple, de la rue. Là où notre homme surpasse les radicaux aux affaires aujourd’hui, c’est qu’il plaçait la joie de vivre et l’authenticité de la relation bilatérale avant la géométrique construction d’un réseau. Cette toile, vous savez, qu’on tisse froidement, pour se faire une clientèle électorale. Ducret, c’était tout le contraire, tout venait d’une chaleur et d’une lumière intérieures qui frappait chacun de ses interlocuteurs.

Un radical pur-sang

J’ai parlé d’une âme grognarde. En allusion, bien sûr, à ces Soldats de l’An II, enrégimentés pour la vie, consulaires puis impériaux, de toutes les glaises, celle d’Arcole comme celle de Waterloo. Robert Ducret aimait son parti, il était un radical pur-sang, un homme du peuple au milieu du peuple. Il aimait Genève. Il aimait les gens. Il traversait Carouge à vélo. Ayant quitté les plus hautes fonctions de l’Etat, il avait un beau jour, très simplement, remis sa salopette pour aller livrer du mazout. A cet homme qui nous quitte, je dis au revoir. A sa famille, je redis ma sympathie. L’âme du radicalisme genevois s’est envolée. Il en va ainsi des âmes. Elles s’envolent. Et fleurissent nos mémoires.