Manger trop sainement peut nuire à la santé

COMPORTEMENT • Dans nos sociétés dominées par les impératifs alimentaires, certains développent une obsession du diététiquement correct. Un comportement révélateur d’un nouveau trouble, l’orthorexie.

  • L'orthorexie se traduit par une obsession absolue de manger sainement.©123RF/Dean Drobot

Vouloir à tout prix manger sainement pourrait-il, à terme, se révéler dangereux pour notre santé? C’est en tout cas ce que semblent croire de plus en plus de nutritionnistes et de psychiatres dans le monde entier. En Suisse, c’est un article de la Société suisse de nutrition, paru dans la revue Tabula qui, dès avril 2003, a attiré l’attention sur un phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur: l’orthorexie, du grec orthos, correct, et orexis, qui signifie appétit.

Fantasme de perfection

Ce trouble du comportement alimentaire, caractérisé par l’obsession absolue de manger sainement, consiste à ne voir le contenu de son assiette qu’à travers le prisme du danger potentiel. Le psychiatre français Bernard Waysfeld définit ainsi l’orthorexie comme un «comportement qui privilégie la pureté diététique et l’obsession des régimes, qui si elle retentit sur la vie quotidienne, peut réellement devenir dangereuse».

Plus que la quantité d’aliments ingérés, c’est ici leur qualité qui est au premier plan. L’orthorexique passe ainsi l’essentiel de son temps à trier, sélectionner, traquer tout ce qui peut altérer la qualité de son alimentation. Au point d’en faire une obsession, susceptible d’occulter tout le reste.

Au fil du temps, l’orthorexique, pris par son fantasme de «perfection alimentaire», se met ensuite à élaborer arbitrairement ses propres règles alimentaires, au mépris de toute réalité scientifique. Il décidera ainsi que le lait ne présente pas de qualités diététiques suffisantes, que les procédés de conservation de tels ou tels aliments ne sont pas suffisamment sécurisés, que tel légume est toxique, telle viande est polluée par les antibiotiques etc., au point de pouvoir développer des carences significatives.

Ce diktat vis-à-vis de soi – et souvent des autres – peut même atteindre une telle violence que l’auteur du célèbre livre The Health Food Junkie Steve Bratman, le médecin américain qui a été le premier à définir le concept d’orthorexie en 1997, n’hésite pas à écrire, un rien provocateur: «Quelqu’un qui passe ses journées à manger du tofu et des biscuits au quinoa se sent parfois aussi méritant que s’il avait consacré toute sa vie à aider les sans-abri.»

Névrose alimentaire

«Ce trouble est en réalité le révélateur d’une névrose alimentaire collective qui tend à se développer de plus en plus dans nos sociétés riches et obsédées par la qualité de leur alimentation, alors que celle-ci n’a objectivement jamais été aussi sûre, analyse un psychiatre. Le contrôle obsessionnel de notre alimentation s’inscrit dans une tendance générale à vouloir maîtriser notre environnement, perçu comme étant de plus en plus dangereux en raison, entre autres, du traitement qui en est fait par les médias.»