Dons d’organes: la Suisse à la traîne

TRANSPLANTATION • Près d’un millier et demi de personnes sont en attente d’un organe. Or, seuls 503 seront disponibles. Le professeur Philippe Morel, vice-président de Swisstransplant, lance un appel.

  • DR photo 123fr/getty

    DR photo 123fr/getty

Avec la collaboration du Pôle prévention et promotion de la santé-Réseau de santé Delta. www.reseau-delta.ch

Mille quatre cent quatre-vingts Suisses sont en attente d’un organe. En comparaison européenne, notre pays stagne au bas du classement avec 13,3 donneurs par million d’habitants (chiffres 2016). Très très loin derrière l’Espagne qui peut compter sur une population de 40 donneurs par million. «La Suisse est à la traîne en Europe», confie le professeur Philippe Morel (photo), membre du Comité européen sur la transplantation d’organes et vice-président de Swisstransplant.

Initiative

Pour le moins préoccupé, celui qui est aussi le patron de la chirurgie viscérale des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) avoue que «malgré les campagnes qui se succèdent, l’excellente tenue de notre économie et la bonne formation des citoyens, le nombre de donneurs plafonne». Comment cette situation peut-elle encore persister dans un pays pourvu d’une qualité de soins incontestable et des technologies médicales de pointe? Pour remédier à ce problème, une nouvelle initiative a été lancée par une organisation de jeunes citoyens. Sera-t-elle néanmoins suffisante?

Balayer les peurs

Actuellement en Suisse, un donneur doit explicitement indiquer son consentement, via une carte de donneur. Ailleurs en Europe, la législation prend le problème dans l’autre sens: le citoyen doit clairement faire savoir qu’il est contre le fait qu’on puisse disposer de ses organes à sa mort. Sans quoi il est considéré comme acceptant les dons à autrui. Cela élargit le bassin de population disponible.

L’initiative va donc dans ce sens et «Swisstransplant soutient bien évidemment ce texte, se réjouit Philippe Morel. Toutefois, les chiffres n’augmenteront sans doute pas significativement si on ne va pas plus loin que ce changement légal. D’autres facteurs importants sont à prendre en compte».

Le chirurgien cite les craintes d’une partie de la population vis-à-vis de la médecine – dont la peur des effets des antibiotiques ou des vaccins – qui rejaillit sur les transplantations. Par ailleurs, l’angoisse de n’être «pas vraiment mort lorsqu’on prélèvera mes organes» doit être prise en compte. Même «s’il y a bien une circonstance dans laquelle tous les tests sont menés pour s’assurer de la mort du patient, c’est bien avant une transplantation», assure le professeur Morel.

Informer, encore et toujours

C’est pour passer ce genre de message que le vice-président de Swisstransplant appelle de ses vœux des campagnes d’information répétitives et constantes car, martèle-t-il «le don d’organes est d’abord une question d’humain. Il dépend de la volonté d’un homme d’en sauver un autre. L’information est donc le cœur de toute action.»

L’autre grand défi évoqué par Philippe Morel est celui de la réorganisation hospitalière. «L’entier de nos efforts vise à sauver des vies. Une équipe médicale qui s’est battue pour un patient n’est pas prête à basculer soudainement vers la transplantation. J’ai moi-même été confronté à ce processus.» Le professeur propose donc que des équipes spécialisées dans la transplantation prennent immédiatement le relais Celles-ci travailleraient en étroite collaboration avec des intervenants qui devront s’occuper des familles, leur parler, les entourer et leur annoncer que les organes de leurs proches sont désormais disponibles pour sauver des vies. «C’est cette organisation qui a fait la différence en Espagne», précise Philippe Morel. Il appelle en outre à la constitution d’«une coordination et d’une synchronisation hospitalière au niveau national», qui permettrait de gagner encore en efficacité.

Toutefois, martèle-t-il encore, «il est capital d’augmenter les moyens destinés à l’information de la population. Ce n’est qu’au travers d’une information forte et efficace que nous pourrons vraiment changer la donne.» Car donner ses organes, c’est choisir… la vie.