Les gueux sont devenus les suppôts du pouvoir

En trois chansons (Ferré, Brel, Trenet), résumé du destin d’un parti naguère frondeur, aujourd’hui gouvernemental à mourir: le MCG. A force de fréquenter les allées du pouvoir, on finit hélas par se noyer dans le banal.

  • Un stand de récolte de signatures du MCG en 2012. Un parti devenu plus sage. DR

    Un stand de récolte de signatures du MCG en 2012. Un parti devenu plus sage. DR

C’est toujours comme ça, avec les mouvements populaires, ou populistes si ça vous plaît de les appeler ainsi: ils émergent, enflamment la République, atteignent des sommets, foutent une trouille d’enfer aux notables, ou aux patriciens fatigués, enfin à tous ceux qui ont pignon sur rue. Et puis, avec le temps, comme dans la sublime chanson de Léo Ferré, va, tout s’en va. Elus au parlement, ils participent au pouvoir, commencent à avoir leur lot dans les postes et prébendes, goûtent au statut d’officiels, se prennent au sérieux, se disent qu’eux aussi sont des notables, pourquoi pas des notaires, comme dans un autre chef-d’œuvre, Les Bourgeois, de Jacques Brel. Alors, ventripotents, ils appellent le commissaire pour dénoncer les jeunes crétins qui font du chambard, en pleine nuit, sous leurs fenêtres.

Révolte populaire

Ainsi, le MCG. Ce parti, né des effets pervers de la libre circulation des personnes, mais aussi d’une légitime révolte populaire contre la Genève de la barbichette, celle des libéraux principalement, mais aussi des apparatchiks socialistes, ou Verts, celle des tranquilles PDC, amateurs d’éternité, celle des radicaux logés aux enseignes de lumière, ce mouvement, cette fronde, cette jacquerie, a fait un bien fou à la République de Genève.

Ces gueux, méprisés à leur arrivée, ont secoué le cocotier, balancé la marmite, incendié la sérénité des consciences, plongé le doigt là où ça fait vraiment mal. Boulangistes après l’heure, poujadistes réincarnés, ils ont remué Genève, lui ont signalé de vrais problèmes que toute l’officialité feignait d’ignorer. Ils ont été des lanceurs d’alertes. Oui, le MCG fut salutaire, en ces premières années du troisième millénaire.

Que reste-t-il?

En novembre 2021, que reste-t-il de tout cela, dites-le-moi, et là c’est notre troisième chanson, celle de Charles Trenet. Que reste-il de tous ces gueux? Que reste-t-il de leurs folies, leurs manières de mauvais garçons, leurs verres d’eau jetés en plein visage? Que reste-t-il de leurs imprécations, leurs mauvaises manières, leurs cris de cour d’école? Que reste-t-il du temps d’Eric Stauffer, funambule de feu sur le fil des limites? Que reste-t-il de ce temps des colères, sonores certes, mais tellement utiles au réveil de la République? La préférence cantonale, slogan méprisé en 2005, et même encore en 2009, par toute l’officialité suave du Canton, est maintenant inscrite dans les consciences. Rien que pour cela, cette prise en compte du périmètre de la communauté d’appartenance, ce parti méritait d’éclore.

Hélas, aujourd’hui, le voilà devenu plus sage, plus convenable, plus gouvernemental que les plus ennuyeux des caciques PDC, avec barbichette et costume trois-pièces, dans la plus huppée des communes. C’est dommage. A force de rentrer dans le rang, on se fond dans la masse, et puis, doucement, on disparaît. Ainsi mourut Vigilance. Ainsi furent submergés les boulangistes. Ainsi périssent les ennemis de la transgression. Ceux qui lui ont préféré le confort.