«Les Ukrainiens atteints de démence sont vulnérables»

SOUTIEN • La directrice d’Alzheimer Ukraine, Irina Shevchenko a fui son pays en guerre et cherche un logement à Genève pour pouvoir organiser l’aide aux personnes atteintes de démence.

  • Irina Shevchenko, à droite, accompagnée d’une amie ukrainienne habitant Lausanne sur la place des Nations samedi 5 mars. DR

    Irina Shevchenko, à droite, accompagnée d’une amie ukrainienne habitant Lausanne sur la place des Nations samedi 5 mars. DR

En arrivant sur la place des Nations en ce samedi 5 mars, Irina Shevchenko n’en revient pas. «J’ai vu tous les drapeaux ukrainiens et cette foule énorme. C’était très émouvant», raconte cette Ukrainienne de 33 ans. La veille, elle a fini par atteindre la station haut-savoyarde des Gets, après un périple de trois jours et deux nuits en voiture, aux côtés de ses parents et de sa fille âgée de 4 ans, prénommée Mira.

Désormais, elle cherche un logement dans la cité du bout du lac. Car, Irina Shevchenko n’est autre que la fondatrice et directrice de Nezabutni (soit littéralement: inoubliable), «la seule structure qui s’occupe des personnes atteintes de démence», l’équivalent de l’association Alzheimer dans son pays. Son but: venir en aide aux personnes atteintes de démence restées en Ukraine. «Je serai plus efficace ici que dans les montagnes…», explique-t-elle.

Manque de médicaments

Arrivée depuis vendredi 4 mars, cette trentenaire n’a pas chômé. Elle a d’ores et déjà dressé la liste des médicaments dont les personnes ayant Alzheimer ont besoin. Car tel est l’un des principaux problèmes. «Les pharmacies sont fermées et les rares qui sont encore ouvertes n’ont plus de médicaments.»

Pour cette femme engagée, imaginer la détresse des Ukrainiens atteints de démence et bloqués dans un pays en guerre est insoutenable. «Ces malades ont besoin d’une routine. Si celle-ci est mise à mal, ils peuvent être confus, devenir anxieux, voire agressifs et ne plus reconnaître leurs proches. Par exemple, lors des frappes aériennes, lorsque les gens doivent se rendre dans les abris anti-bombes et s’y asseoir pendant des heures. Une de nos bénéficiaires de la Charité, à Kiev, une vieille femme a fait une crise de panique dans l’un de ces abris. C’était intenable, personne ne savait quoi faire.»

Elle évoque aussi les 600 patients du dispensaire psychoneurologique de Borodyanka, dont beaucoup souffrent d’Alzheimer. «Ils vivent aujourd’hui dans cette bâtisse en ruine sans électricité, sans médicament, sans nourriture.» Ailleurs, ce sont les résidents de maisons de retraite qui survivent dans une situation similaire. «Déjà en temps normal, les personnes atteintes de démence ne sont pas une priorité. Ce n’est pas comme ici en Suisse. Pourtant ce sont des êtres humains! lance-t-elle. Et nous en avons beaucoup en Ukraine.»

De plus, comme elle le souligne, le malade n’est pas le seul concerné. «C’est tout son entourage qui souffre avec lui. S’il n’a pas de médicament, il ne dort pas, il peut être agressif ou se mettre en danger et doit être surveillé de près.» La priorité est donc de trouver les médicaments et de les envoyer en Ukraine, «notamment dans les zones sous contrôle de l’ennemi. On essaie de mettre en place des couloirs humanitaires pour atteindre ces zones.»

Avec l’aide d’Alzheimer Genève

En sus des médicaments, l’association a mis en place deux programmes en ligne. «Comme les malades ne peuvent pas aller chez le médecin, nous avons mis en place des consultations en ligne, notamment de psychiatres et de psychologues.»

Une aide à distance qu’Irina Shevchenko tente de développer avec le soutien de l’association Alzheimer Genève, qui l’accueillera dans ses bureaux. Car, comme l’explique sa directrice générale, Sophie Courvoisier: «La maladie n’a pas de frontière. Notre rôle est évidemment d’épauler notre homologue ukrainienne afin de venir en aide aux personnes ayant Alzheimer sur place.»

Emplie de reconnaissance, Irina Shevchenko demeure toutefois frustrée et triste d’avoir dû quitter son pays. «J’ai beaucoup de mal à me considérer comme réfugiée. Je veux rentrer dès que possible», souffle-t-elle. «Même si je ne sais pas ce qu’il restera après tout ça… Nous allons nous battre contre cet envahisseur. Et nous avons l’espoir de gagner. Mais, à quel prix?» conclut-elle, en remerciant les Genevois et les Suisses pour leur soutien. «C’est essentiel. C’est une question de vie ou de mort.»