Ministère public: le tournus des procureurs se poursuit

  • Ils sont 16 procureurs sur un effectif global de 44 à avoir rejoint ces deux dernières années ce qu’on appelait autrefois le Parquet.
  • Autant de novices propulsés sur de grosses affaires.
  • Le point avec procureur général Olivier Jornot sur ce taux de renouvellement qui interroge.

  • Au Ministère public, chaque procureur gère un cabinet traitant entre 150 et 250 dossiers. MP

    Au Ministère public, chaque procureur gère un cabinet traitant entre 150 et 250 dossiers. MP

  • Le procureur général Olivier Jornot: «Un regard neuf peut parfois permettre

    Le procureur général Olivier Jornot: «Un regard neuf peut parfois permettre de faire aboutir le dossier plus facilement.» MP

«Pour une procédure plus longue, on peut atteindre deux à trois changements» de procureurs

Olivier Jorno, procureur général

Sur 44 procureurs actuellement en fonction, pas moins d’un tiers est nouveau. Seize sont en effet arrivés ces deux dernières années. Si on remonte à 2015, ils sont carrément 30 à avoir fait leur entrée au Parquet et donc tout autant à l’avoir quitté. Un fort taux de renouvellement qui interroge: doit-on y voir un désamour de la fonction?

Selon le procureur général Olivier Jornot, telle n’est pas la principale explication. «A Genève, le modèle de fonctionnement veut qu’on entre dans la magistrature au Ministère public, au Parquet à l’époque. Puis, lorsqu’un juge prend sa retraite ou s’en va, une rocade s’opère.» Autrement dit, c’est un procureur qui récupère le poste vacant, libérant du même coup une place au Ministère public. De ce «cursus» traditionnel résulte l’important tournus.

150 à 250 dossiers

Y a-t-il d’autres explications à ces nombreux départs? Plusieurs procureurs, mais aussi des avocats, évoquent l’importante charge de travail au Ministère public. Surtout depuis l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, en 2011, qui a entraîné la fusion des rôles de juge d’instruction et de procureur. Conséquence: chaque procureur gère aujourd’hui un cabinet traitant entre 150 et 250 dossiers. Sans compter les permanences à assurer à tour de rôle. «Il y a aussi la charge émotionnelle qu’il ne faut pas sous-estimer. Au Ministère public, nous sommes dans le conflit en permanence. Beaucoup d’audiences sont tendues», précise Olivier Jornot.

Pour alléger un peu la charge et répondre à la hausse de l’activité judiciaire sans que les délais ne continuent de s’allonger, le procureur général réclame la création de quatre postes supplémentaires. C’est d’ailleurs l’un des points du plan financier quadriennal 2022-2025 de la justice discuté ces dernières semaines par le Conseil d’Etat.

Former les nouveaux

Quid de l’impact de ce tournus sur le fonctionnement de la justice? Côté Ministère public, l’inconvénient majeur, c’est l’inexpérience des nouveaux procureurs qui se retrouvent immédiatement propulsés sur de grosses affaires. «Cela doit être compensé par de gros efforts de formation et de coaching à l’interne», souligne le procureur général.

Problème: le temps passé à s’approprier un dossier ralentit le travail. «Dans une procédure de durée moyenne, il y a en général un changement de procureur, précise Olivier Jornot. Pour une procédure plus longue, telles qu’une affaire criminelle ou un dossier financier complexe, on peut atteindre deux à trois changements.»

«Gestion calamiteuse»

Voire beaucoup plus, comme pour l’affaire de la petite Semhar, assassinée à l’âge de 12 ans en août 2012 à Carouge. «Pas moins de six procureurs se sont succédé. L’instruction a duré sept ans! C’est une gestion calamiteuse du Ministère public», déplore de son côté Me Robert Assaël, l’avocat des proches de la fillette, dont l’assassin a été jugé et condamné à 20 ans de prison assortis d’une mesure d’internement en 2019.

S’il reconnaît les inconvénients de ce système, le procureur général ajoute tout de même: «Un regard neuf peut parfois permettre de faire aboutir le dossier plus facilement.» De plus, toujours selon Olivier Jornot, «le fait que les juges au pénal aient dû eux-mêmes mener des enquêtes est indéniablement une plus-value».