Monica Bonfanti: une femme puissante

  • Nommée le 1er août 2006, la commandante dirige la police genevoise depuis quinze ans. Un record en Suisse.
  • L’occasion de revenir avec elle sur les faits marquants de cette carrière exemplaire, qui est loin d’être terminée...
  • Mais aussi de passer en revue les nombreux dossiers brûlants qui ont métamorphosé le métier de policier.

  • Monica Bonfanti: une patronne dans un milieu d’hommes. POLICE GENèVE

    Monica Bonfanti: une patronne dans un milieu d’hommes. POLICE GENèVE

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«Je souhaite une police apaisée, connectée avec la population»

Monica Bonfanti, commandante de la police genevoise

Monica Bonfanti, si je vous dis que vous êtes une femme puissante, que me répondez-vous? Sans surprise, la commandante de la police genevoise esquive et me renvoie la question. «Qu’entendez-vous par puissante?»

On se met d’accord sur le fait que ses décisions sont lourdes de conséquences sur le travail des policiers et le fonctionnement de la Grande Maison. Mais aussi qu’elle les assume sans peur de déplaire ou du qu’en-dira-t-on. Bref, que c’est elle la patronne dans un milieu d’hommes, un corps de l’Etat parmi les moins féminisés.

Chausse-trapes machistes

«Il faut se méfier des amalgames, répond du tac au tac Monica Bonfanti. Le profil type du policier genevois, c’est effectivement un homme de 40 ans. Mais cela ne signifie pas que les policiers ne sont pas respectueux des femmes. Au contraire.»

A-t-elle déjà oublié les chausse-trapes machistes de ses débuts à la tête de la police cantonale? C’était le 1er août 2006, la Tessinoise d’origine avait alors 35 ans. «Non, pas du tout. La police était dans une crise profonde. Il fallait corriger le tir. J’avais le profil atypique du poste. Ironie de l’histoire, c’est un Conseil d’Etat entièrement masculin qui m’a nommée», s’amuse-t-elle aujourd’hui. Avant de préciser: «Ils m’ont prévenue. Vous allez vivre deux ans d’enfer. Les pires de votre vie.»

Diagnostic cinglant qui ne manque pas de se vérifier. Au milieu des années 2000, une femme ne prend pas impunément la place d’ordinaire réservée à un homme. Attaques basses, parfois infâmantes, notamment sur son sexe, son incompétence et une accusation de promotion canapé se multiplient à l’interne et dans les médias. Briser, salir, tout est bon pour avoir sa tête.

Il faut dire que beaucoup pensent que cette blonde, à qui l’on prête une apparence un peu ingénue – ce dont elle joue à la perfection –, n’a pas les épaules pour le grade. Ils vont très vite déchanter. Car Monica Bonfanti a non seulement la carrure mais elle n’a accepté les responsabilités du poste qu’avec le pouvoir.

Autorité et (re)construction

Ce dont elle use rapidement en faisant tomber la tête du chef de la police judiciaire de l’époque. D’autres remaniements exemplaires suivent. Commencer par des décisions répressives permet à la nouvelle cheffe d’asseoir son autorité et de marquer son territoire. Mais pour réussir dans une fonction aussi exposée qui ne connaît aucune trêve à Genève, la cheffe sait qu’elle ne doit pas uniquement détruire. Elle doit surtout (re)construire.

Elle se donne sept ans pour y parvenir. Une promesse faite au Conseil d’Etat largement tenue! Quinze ans après, elle est toujours en place. Laurent Moutinot, Isabel Rochat, Pierre Maudet, Mauro Poggia… Les ministres de tous bords passent, dont certains l’auraient bien déboulonnée… Monica Bonfanti reste.

Comment a-t-elle réussi ce tour de force? «Je suis une fonctionnaire. C’est à moi de m’adapter à mes chefs pas le contraire.» Preuve que la commandante, à qui on ne connaît aucune couleur partisane, a appris à avancer aussi de manière politique. Sans jamais trahir... Mais sans jamais rien lâcher sur le fond non plus.

En dehors d’une force de travail hors norme, c’est à cette grande intelligence et capacité d’adaptation qu’elle doit d’être devenue la plus ancienne commandante en fonction du pays. Record qu’elle partage jusqu’à la fin de l’année avec le chef de la police bernoise. Après, elle sera seule sur le haut du podium. Pas de quoi choper la grosse tête. «A Genève, il y a toujours quelqu’un pour vous remettre à votre juste place», pointe-t-elle aussitôt. Sans parler des crises, des réformes et des événements qui secouent en permanence l’édifice sécuritaire et vous obligent à garder les pieds sur terre.

Dossiers délicats

En quinze ans, des (r)évolutions et des défis à relever il y en a eu vraiment beaucoup. Pêle-mêle, l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la mise en application de la très controversée Loi sur la police, la menace terroriste, la vidéosurveillance, la cybercriminalité, l’incontournable virage technologique. Et que dire du récent sommet Poutine-Biden…

Autant de dossiers délicats qu’il faut résoudre en attirant les jeunes sans perdre en route les anciens. «La modernisation, c’est un subtil équilibre où l’on doit garder à l’esprit que la plus-value n’est pas forcément technologique mais humaine. Connaître le terrain, les gens, avoir de nombreuses sources reste la clé du travail de policier», plaide Monica Bonfanti. Avant d’ajouter avec un brin de fierté: «Ces dernières années, nous avons beaucoup gagné en transparence. Notre image auprès de la population s’est améliorée. Près de 90% des personnes interrogées ont une bonne image de leur police. C’est important!» précise celle qui a un sens inné du devoir et pour qui «Servir et protéger» est bien plus qu’une devise, c’est une raison d’être.

Rempart pour ses troupes

La preuve? Quand on lui demande ce qu’on peut lui souhaiter pour les années à venir, cette cheffe dans l’âme s’érige spontanément en rempart pour ses troupes... «Je souhaite une police apaisée, connectée avec la population. Que mes collaborateurs se sentent mis dans les meilleures conditions pour accompagner au mieux les changements profonds et rapides de notre société. Depuis mars 2020, avec le Covid, nous faisons face à une menace inédite qui nous frappe de l’intérieur, s’attaque aux policiers et à leurs familles. Il est important que même confrontés à ces circonstances particulièrement difficiles, les policiers continuent à rassurer l’ensemble des citoyens.»