«On n’est jamais préparé à être confronté au système carcéral»

TéMOIGNAGE • La mère de Jérémy*, activiste climatique de 23 ans, placé en préventive à Champ-Dollon depuis le 17 mars, détaille les conditions de détention de son fils.

  • Un lâcher de ballons a été organisé pour l’anniversaire de Jérémy. DR

  • Un lâcher de ballons a été organisé pour l’anniversaire de Jérémy. En médaillon, sa maman tient l’autocollant exprimant le soutien à son fils. DR/MP

    La maman de Jérémy tient l’autocollant exprimant le soutien à son fils. MP

«Je ne souhaite à aucune maman de célébrer l’anniversaire de son enfant avec des barbelés qui vous séparent.» Jamais, la mère de Jérémy* n’aurait pensé vivre une telle situation. Et pourtant, c’est bien en prison que son fils a «fêté» ses 23 ans. Cet étudiant d’origine belgo-suisse est en détention provisoire à Champ-Dollon depuis le 17 mars.

Il est soupçonné d’avoir le 4 janvier 2022, sur le site d’exploitation d’une gravière du cimentier Holcim, à Sézegnin, participé au sabotage de machines de chantier, notamment en boutant le feu à deux véhicules. Son ADN a été retrouvé sur un bidon d’essence et, un gant contenant un autre ADN ayant été découvert sur place, un complice est recherché. Arguant du risque de collusion, le Tribunal des mesures de contrainte a prononcé son incarcération. Une décision confirmée par le Tribunal fédéral le 12 mai.

Ce n’est toutefois pas sur le fond de l’affaire que cette maman a accepté de s’exprimer. Elle a hésité… longuement. Mais tient à raconter les conditions de détention (en attente de jugement) de son fils et l’impact sur sa famille.

Chemisier blanc chic et maquillage discret, elle revient, d’un ton calme qui cache mal la fatigue et l’angoisse, sur cet anniversaire si particulier. «On a organisé un lâcher de ballons devant la prison. C’est la seule chose qu’on avait. Tout est fait pour casser les liens entre nous. On ne peut pas lui écrire ce qu’on veut, ni lui téléphoner… On vit dans l’incertitude, on ne sait rien. On ne peut même pas s’accrocher à une date. C’est ce qui nous ronge.»

Jusqu’au 15 juin

Le placement en détention provisoire court jusqu’au 15 juin. «Mais, la mesure est reconductible, indique-t-elle. Ce serait terrible si c’était le cas.» Elle ajoute: «Il est dans les pires conditions carcérales alors qu’il est en attente de jugement et présumé innocent. Au début, il y a une forme de paralysie. On se dit que c’est pour trois jours, que quelqu’un va avoir un peu de bon sens.» Cela fait plus de deux mois.

Longtemps, elle se souviendra du jour où elle a découvert Champ-Dollon. «C’est une prison surpeuplée depuis des années. Jérémy* est 23h/24 dans sa cellule, avec quatre autres personnes. Il mange dans cette cellule. C’est tout petit. Il souffre de la promiscuité, du manque de place. Quand je suis sortie de là la première fois, après le parloir, j’étais en état de choc, je n’arrivais plus à marcher.»

Cette maman raconte les visites. A savoir une heure maximum par semaine pour deux personnes. «On est une grande famille. Ça devient tendu pour savoir qui peut aller le voir. On doit téléphoner en début de semaine pour savoir s’il y a de la place. C’est un parloir commun. Il y a sept petites tables et donc pas d’intimité. On a le droit de se prendre dans les bras au début, de s’asseoir tranquillement pour parler durant une heure et une accolade à la fin.»

Reste que ces visites demeurent le seul lien avec le détenu. «On lui envoie du courrier mais, on ne sait pas ce qu’il reçoit ou pas. Je lui amène des photos de famille, des livres, des habits. La première fois, j’ai tenté une couverture, ce n’est pas passé. Le journal l’Equipe, pas passé non plus. Il y a plein de règles que l’on découvre de jour en jour. Comme le fait qu’on ne peut pas lui amener de la nourriture.» Il y a en effet trois périodes dans l’année durant lesquelles les colis alimentaires sont autorisés. La prochaine s’étend du 5 au 18 juin.

«J’ai peur qu’il ait des séquelles»

La difficulté pour cette maman, c’est aussi que «cela occupe l’esprit tout le temps. Surtout quand on est, comme nous, suspendus à un fil. Il faut tenir le coup pour lui, trouver la force pour accompagner les autres membres de la famille, tout en continuant à aller travailler et en faisant confiance à l’avenir.»

Un avenir qu’elle attend tout autant qu’elle le redoute: «J’ai peur qu’il garde des séquelles sur sa santé et des troubles psychiques importants. J’ai l’impression qu’on a mis mon fils dans un train à destination de nulle part. C’est un étudiant brillant en fin de bachelor. On casse tous ses projets. Comment peut-on se réparer après ça? Comment est-ce qu’une famille entière se remet de ça?»

Les proches de Jérémy* s’accrochent à la solidarité créée autour de lui. «Nous étions 500 à défiler le 1er mai. Le 24 mai, on organise un pique-nique de soutien des mamans, des amis et amies de Jérémy*, à la Treille. Et le 2 juin, une grande manifestation à 18h30. C’est la seule chose que l’on puisse faire pour lui montrer qu’il n’est pas seul», conclut-elle, les larmes aux yeux.

* Nom d’emprunt choisi parle groupe de soutien

«Faire des prisons dignes d’un Etat démocratique»

MP • «Personne ne nie le fait que Champ-Dollon est dans un état de vétusté important», entame Laurent Paoliello, porte-parole du Département de la sécurité, de la population et de la santé (DSPS). C'est pour annoncer les réformes à venir sur le site pénitentiaire de Puplinges ainsi que «les grands axes de la loi sur la planification pénitentiaire adoptée fin mars 2023» que se tient une conférence de presse jeudi 25 mai. Elle fait suite à l’adoption par le Grand Conseil vendredi 24 mars du projet de loi dont l’objectif est que «le Canton prenne en charge adéquatement et dignement les personnes détenues ou suivies, en particulier en disposant d’espaces de privation de liberté en qualité et quantité suffisantes, conformes aux standards reconnus». Ces dernières années, Champ-Dollon, tristement célèbre pour son état de délabrement et sa surpopulation, compte en moyenne 650 détenus, alors que l'établissement, bâti en 1977, dispose de 400 places. Le conseiller d'Etat chargé du DSPS, Mauro Poggia avait annoncé à l'été 2022 sa volonté de remplacer cet établissement par quatre bâtiments d’ici 2030.

Au-delà de Champ-Dollon, sur l'ensemble du canton, la planification prévoit plus de 1120 places, soit 300 de plus qu'aujourd'hui. «Du côté des autorités, il y a une volonté manifeste évidente d’obtenir les crédits nécessaires afin de moderniser et améliorer les conditions pour les détenus et pour le personnel qui y travaille. On sait très bien que l’on doit faire des prisons dignes d’un Etat démocratique», conclut Laurent Paoliello.