Moderniser l'Instruction publique permettrait-il de diminuer les coûts?

ENSEIGNEMENT • Passe d'armes entre le député PLR Pierre Nicollier et la conseillère d'Etat PS, Anne Emery-Torracinta au sujet de la gestion du Département de l'instruction publique.

  • L'Instruction publique compte 7800 enseignants. 123RF

Le projet de budget déficitaire ficelé par le gouvernement genevois présente une hausse des charges de 3,7% (incluant l’engagement de 488 postes à plein-temps). Pierre Nicollier, président de la commission de l’enseignement au Grand Conseil, pointe du doigt le Département de l’instruction publique dont le manque de modernité pèse, selon lui, dans la balance. Son approche est énergiquement contestée par la conseillère d’Etat, Anne Emery-Torracinta.

  GHI: Le Département de l’instruction publique (DIP) compte 10'284 collaborateurs parmi lesquels plus 7800 enseignants (auxquels s’ajoutent des  collaborateurs de terrain). L’Instruction publique apparaît comme une machine complexe. Repenser son organisation permettrait-il de dégager de nouvelles forces?
Pierre Nicollier:
Ce Département souffre d’une absence de modernité dans le mode de management. Il y a une déconnexion entre le haut du chapeau et le terrain. En clair, au lieu de questionner son organisation et de renforcer les rangs des enseignants, le Département préfère ajouter des tâches administratives à ces mêmes enseignants, puis, pour les décharger, engager des intervenants externes.

– Quelle solution préconisez-vous?
Le Département doit entrer dans une culture d’amélioration continue afin de comprendre si et comment les ressources sont utilisées sur le terrain. Il se plaint année après année de manquer de personnel, pourtant, nous pouvons constater que le DIP, depuis le début de la législature, a engagé 830 collaborateurs pour une augmentation de 2799 élèves, soit 3,4 élèves en moyenne par collaborateur. En outre, après le refus du budget 2022, tous les crédits additionnels demandés par le DIP ont été approuvés par la commission des finances, à l’exception des postes de supervision à l’Office médico-pédagogique, situation autrement complexe malheureusement. Ce n’est pas un problème de ressources mais de gestion.

– Comment valoriser au mieux l’expérience des enseignants?
L’utilisation des supports et outils développés pour les apprentissages n’est pas évaluée. Chaque enseignant dispose d’une grande latitude pour construire ses cours. Cette liberté d’action est à saluer mais si les cahiers d’exercices ne sont pas adéquats, les enseignants doivent créer leurs propres fiches. Et ces expériences et savoir-faire ne sont pas pris en compte. Un portail accessible à tous les enseignants serait plus judicieux.

– Les nouvelles options offertes par le numérique pourraient-elles simplifier la tâche des enseignants?
Sans aucun doute. La gestion des remplacements s’effectue à l’ancienne. Les remplaçants ne peuvent s’inscrire que deux fois par an auprès du service. Chaque jour, ledit service relève le répondeur pour prendre connaissance des absences puis téléphone aux remplaçants un par un jusqu’à identifier une personne disponible. Une plateforme numérique dynamique améliorerait la qualité et l’utilisation des forces. Même remarque pour la collecte des données des épreuves cantonales. Les enseignants doivent entrer les résultats exercice par exercice manuellement. Il faut moderniser tout ça!

 

  GHI: D’après le député PLR Pierre Nicollier, le DIP souffre d’une «absence de modernité». Qu’en pensez-vous?
  Anne Emery-Torracinta: Ce n'est pas le DIP qui souffre d'une absence de modernité, mais le PLR qui, en matière d'éducation et de formation, est devenu un parti de «nein-sager» passéistes! Ce constat vaut tant pour les projets pédagogiques que pour ceux qui permettraient d'améliorer le quotidien de nos collaboratrices et collaborateurs.

– En quoi le PLR apparaît- il comme un frein?
Il refuse les équipements informatiques nécessaires dans les écoles pour respecter les plans d'études intercantonaux, alors que ce projet a le soutien des associations d'enseignants et de parents. De plus, il s’est opposé au projet de loi qui devait permettre de moderniser l'informatique du DIP, soit gérer tout le système scolaire et améliorer le fonctionnement de l'administration, y compris le service des remplacements du primaire.

– Les nouveaux outils informatiques ne sont-ils pas une clé?
A l’Etat, l'informatique n'est pas aux mains des différents départements, mais d'un office, longtemps en mains PLR. Tous les départements souffrent de cette centralisation excessive. Pour améliorer le service des remplacements, il faudrait également pouvoir mettre en place une application de type réseau social pour gérer les inscriptions des remplaçants. Ce n'est pas possible aujourd'hui vu la lourdeur du système en place et l'impossibilité de gérer localement les projets.

– Que répondre à la remarque sur la déconnexion entre le haut du chapeau et le terrain?
Je crois que c'est surtout le PLR qui est déconnecté du terrain quand il refuse systématiquement les budgets, ce qui signifie refuser d'augmenter le nombre d'enseignants, alors que le nombre d'élèves augmente et que le Covid a accentué les difficultés dans de nombreuses familles. Face à l'école, le PLR pratique aujourd'hui une politique de la terre brûlée.

– Faut-il vraiment plus d’enseignants sans augmentation majeure d’élèves?
Les pseudo-statistiques de M. Nicollier omettent l'obligation d'ajouter des heures à la grille horaire (informatique, éducation physique, etc.). Tout cela nécessite d'engager des enseignants même s’il n’y a pas plus d'élèves pour autant. Il faut laisser plus de marge de manoeuvre aux écoles, mais pour cela, il faut que le PLR et la droite du Grand Conseil cessent de vouloir contrôler en permanence ce qui s'y passe et fassent confiance à l'administration.