Le pouvoir, celui qui vous fait jouir

Méfiez-vous du pouvoir! De tout pouvoir, d’où qu’il vienne! Et au «dominus», le maître face à l’esclave, préférez «magister»: le maître qui vous élève.

  • Entre le dominant et le dominé, c’est parfois l’entente, parfois l’affrontement, voire la rupture. 123RF

    Entre le dominant et le dominé, c’est parfois l’entente, parfois l’affrontement, voire la rupture. 123RF

Ne croyez pas qu’il existe, sur la planète, le moindre pouvoir qui, dans l’ordre des relations humaines, soit présentable. Le pouvoir, d’où qu’il vienne, c’est pour le moins une pression, et souvent une oppression, exercée par un ou plusieurs humains, sur un ou plusieurs autres. Il existe certes des pouvoirs éclairés, des despotes séduisants, des tonalités atténuées, des petites voix doucereuses qui tonnent moins que les rugueuses injonctions des sergent-majors. Mais le pouvoir reste le pouvoir. Il y aura toujours un moment, entre le dominant et le dominé, où l’étincelle enclenchera l’explosion. Toujours un moment pour la rupture, l’affrontement, la tentative de renversement, le corps-à-corps de la colère.

Gentils en campagne électorale

Prenez le monde politique. Regardez comme ils sont gentils, les doux agneaux, pendant les campagnes électorales. A votre écoute, «sur le terrain»: les stands, les tracts aimablement distribués, la patience à vos doléances, «Je note, chère Madame, nous allons nous renseigner sur ce problème, nous reprendrons contact avec vous. D’ici là, si vous voulez que les choses s’arrangent, ayez l’obligeance de voter pour moi.» Et ça marche ! Parce que l’autre, en face, toujours en quête d’un monde nouveau, se dit que tout va changer, qu’il tient là le bon numéro, que celui-là, élu, n’exercera pas le pouvoir comme les autres. On peut rêver. C’est un droit fondamental de l’être humain.

Puis la transformation

On peut rêver, mais on déchante. Très vite. Elu dans un exécutif, le nouveau mettra quelques semaines à s’accoutumer, il montera autour de lui une garde noire, il se désignera mentalement les alliés et ceux à abattre, il se fera les griffes, commençant par écorner, et finalement lacérant. D’aucuns prendront plaisir à ce petit jeu. «Je suis le maître, je domine, j’ai ma cour, mes conciliabules, je ménage mon petit monde, j’incendie les autres.» C’est la vie, nul n’y échappe. Ni hommes, ni femmes, ni gauche, ni droite, ni gentils centristes: face à l’éternelle noirceur du pouvoir, nous sommes tous recommencés, nous accomplissons la liturgie, nous blessons, parfois nous humilions. Et de cette position dominante, nous jouissons.

Le laid et le beau

Le pouvoir, partout. Au sein de la famille. Au bureau. Sur le chantier. Sur le tapis boursier. Dans l’entreprise. C’est laid, c’est noir, c’est triste, c’est la vie, celle des pulsions, nul d’entre nous n’y échappe, et surtout pas ceux qui s’en croient affranchis. En latin, dominus signifie le maître, celui qui exerce le pouvoir, par exemple sur l’esclave. Mais il y a un autre mot, tellement plus beau, tellement plus fort: c’est le mot magister. Le maître, oui, mais celui qui enseigne. Celui qui transmet. Celui qui, par son savoir, ses compétences, donne l’exemple. Celui à qui Charles Péguy, dans les Cahiers de la Quinzaine (1913), rend hommage. Je voulais, à l’approche de Pâques, terminer ce texte par une note d’espoir et de lumière. A tous, excellentes Fêtes, quelque part, face à l’ouverture du Passage.