Rentes AVS: même pas l’aumône!

Nos personnes âgées ont contribué à faire la Suisse d’aujourd’hui. Elles ont droit à vivre leur retraite avec décence, respect de l’entourage, reconnaissance. Toute autre solution serait une négation de la civilisation.

  • Comment notre pays peut-il être devenu celui de l’oubli des anciens? 123RF/AUREMAR

    Comment notre pays peut-il être devenu celui de l’oubli des anciens? 123RF/AUREMAR

Dix francs par mois d’augmentation de la rente minimum AVS en 2021, 20 francs pour la rente maximum. Cette nouvelle, tombée mercredi 14 octobre, alors que tous les regards, toutes les attentions sont fixés sur l’obsession sanitaire, est l’un des pires scandales, en Suisse, de l’année 2020. Il ne faut pas venir nous parler de chiffres, ni de courbes, ni d’indexations. Il ne faut pas venir nous enfumer avec des histoires de diagrammes. Nous parlons d’hommes et de femmes. Nous parlons de nos pères et de nos mères. Nous parlons de nos frères ou sœurs aînés. Nous parlons de nos grands-parents. Nous parlons de citoyennes ou citoyens qui ont travaillé toute leur vie.

Au-delà du dégueulasse

Beaucoup d’entre eux ont eu des enfants, les ont élevés, leur ont tracé le chemin. Aujourd’hui, les forces en eux n’ont plus la vigueur d’antan. Mais ils sont toujours là, humains parmi les humains, naufragés de la mémoire, témoins de notre histoire commune. Quarante ans, quarante-cinq ans de vie professionnelle, donc de travail au service du pays, de sa prospérité. Et là, au milieu d’un renchérissement général de la vie, avec des primes maladie qui ne cessent de grimper, des classes moyennes étouffées par les taxes et les impôts, ces dix misérables francs! Ça n’est même pas un pourboire! Même pas l’aumône! C’est au-delà du dégueulasse, et je pèse mes mots.

Les aînés oubliés

Comment la Suisse en est-elle arrivée là? Comment ce pays sublime, celui du respect et de la reconnaissance, celui de la main tendue à ce qui diffère, celui des grands principes de mutualité, de solidarité de 1848, celui de la grande aventure de l’AVS dans les années 1947/48, peut-il être devenu le pays de l’oubli des anciens? Il y a là quelque chose de terrible, comme si l’ingratitude était la fille perdue de l’amnésie: je ne te reconnais pas, frère humain, sœur humaine, parce que j’ai moi-même perdu toute mémoire, tout repère, tout ancrage dans la durée, dans la chaîne de l’histoire. Je ne te reconnais pas, parce que je ne suis plus capable de me reconnaître moi-même, dans ma fonction d’humain, mes priorités de citoyen. Alors, je ne reconnais plus rien. Ma vie est un marécage, mon horizon est un brouillard.

Nécessaire réforme

Etre citoyenne, être citoyen, c’est vouloir des repères. Il faut aussi des lois écrites, c’est cela la civilisation. Se passionner pour la politique, c’est dessiner des priorités. On aurait pu imaginer que le sort des personnes âgées sans trop de ressources, ou celui de nos jeunes sans emploi, ou celui des 192 apprentis au chômage à Genève, ou celui des plus faibles, des plus fragiles, fussent placés au sommet de la hiérarchie de l’urgence. La décision des dix francs vient fouetter cet espoir comme bise d’hiver, glacée. Cette décision, nous ne pouvons pas l’accepter. Le régime des retraites en Suisse, révolutionnaire en 1948, plein de vigueur et de santé dans les années (Hans Peter) Tschudi, cet exceptionnel conseiller fédéral socialiste de Bâle, qui fit à lui seul trois réformes de l’AVS, est aujourd’hui à bout de souffle. A nous d’en inventer un autre. C’est une tâche prioritaire, au nom du pays.