Une littérature en perpétuelle réinvention

LIVRES DES ANNÉES 70 • Alors que l’âge d’or de la littérature du XXe siècle semble loin déjà, les années 70 vont voir de nouveaux auteurs s’imposer. Qu’ils se nomment Milan Kunderan ou Jacques Chessex...

  • «Train de nuit Tokyo-Sendai» (1964) par Nicolas Bouvier. Sa légende est en marche...  FONDS NICOLAS BOUVIER/MUSéE DE L’ÉLYSéE/LAUSANNE

    «Train de nuit Tokyo-Sendai» (1964) par Nicolas Bouvier. Sa légende est en marche... FONDS NICOLAS BOUVIER/MUSéE DE L’ÉLYSéE/LAUSANNE

  • «Train de nuit Tokyo-Sendai» (1964) par Nicolas Bouvier. Sa légende est en marche...  FONDS NICOLAS BOUVIER/MUSéE DE L’ÉLYSéE/LAUSANNE

    «Train de nuit Tokyo-Sendai» (1964) par Nicolas Bouvier. Sa légende est en marche... FONDS NICOLAS BOUVIER/MUSéE DE L’ÉLYSéE/LAUSANNE

Une transition. Ou le début d’une parenthèse de plus de vingt ans. Voilà comment on pourrait résumer la littérature des années 70. Car les écrivains majeurs du siècle sont morts – Camus en 1960, Céline et Hemingway en 61, Faulkner en 62 – ou, s’ils vivent encore, leur œuvre est faite: Giono avec L’iris de Suze et Elsa Triolet avec Le rossignol se tait à l’aube publient leurs derniers romans ante mortem.

De même qu’Aragon qui, après La mise à mort (67) et Blanche ou l’oubli (67) ne signera plus de livres majeurs jusqu’à sa mort en 1982. Côté scène, aussi, on change d’époque, avec la fin du théâtre de l’Absurde (post-Seconde Guerre mondiale) et la mort de Pagnol en 1974.

Quant à la philosophie, elle bascule, d’un existentialisme sartrien en déclin (malgré un regain d’intérêt pour Sartre lors des événements de mai 68) au structuralisme des Lévi-Strauss, Bourdieu, Deleuze (Logique du sens et L’anti-Œdipe datent de ce changement de décennie), Derrida, Foucault, Levinas et Barthes (Fragments d’un discours amoureux est publié en 77).

Les Suisses s’imposent

Mais la fin d’une époque ne signifie pas pour autant que les années 70 sont, littérairement parlant, un désert culturel. Car la décennie est traversée par quelques fulgurances: 25 ans après le décès de Ramuz, Jacques Chessex obtient le prix Goncourt pour L’ogre, en 1973, roman sur le remords et le poids écrasant de la figure paternelle; quant à Nicolas Bouvier, en cette année 70, il voyage au Japon avec la délégation suisse pour l’exposition universelle qui se tient à Osaka, présente quatre de ses livres et prend surtout beaucoup de notes. Qui alimenteront Journal d’Aran (90) et surtout son grand œuvre des années 70, Chroniques japonaises.

Prolifiques

Les Français non plus ne se portent pas si mal, avec une Marguerite Duras prolifique (Abahn Sabana David en 70, L’amour en 72) même si ses inspirations la portent plutôt vers le cinéma; Romain Gary se réinvente aussi, après 19 romans publiés sous son nom, en la personne d’Emile Ajar, pseudonyme sous lequel il signe Gros-Câlin (74) et surtout La vie devant soi (Goncourt 75). Michel Butor, qui est déjà passé de la prose romanesque à la poésie (avant les livres d’art); quant au Nouveau roman, avec Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute ou Claude Simon (futur Nobel en 85), il semble déjà bien installé, à défaut d’être véritablement populaire. Car cette littérature dite de gare, il faut plutôt aller la chercher du côté de SAS qui signe, en 1970, Cyclone ONU (à New York, pas Genève!) ou encore Béru-Béru, qui met en valeur le meilleur ami du commissaire San-Antonio.

Kundera et Bukowski

Enfin, au niveau international, la littérature des années 70 connaît également quelques belles réussites: L’angoisse du gardien au moment du penalty de Peter Handke (adapté par Wim Wenders en 72), Délivrance de James Dickey (adapté par John Boorman la même année), Ô vous, frères humains d’Albert Cohen (quatre ans après Belle du Seigneur en 68) ainsi que deux auteurs majeurs «en devenir».

Le premier – Kundera – vit difficilement le Printemps de Prague et signe avec La plaisanterie (68) un premier ouvrage suivi de bien d’autres (Risibles amours 70, La vie est ailleurs 73, La valse aux adieux 76, Le livre du rire et de l’oubli 79); le second – Bukowski – réalisant également l’essentielle de son œuvre autobiographique lors de cette décennie: Le postier (71), Contes de la folie ordinaire (72), Au sud de nulle part (73), Factotum (75), Women (78)…

Quant aux «vedettes» actuelles, il serait exagéré de dire qu’elles font leurs gammes en lisant tous ces auteurs, car si Houellebecq a 14 ans en 1970, Joël Dicker, lui, ne naîtra qu’en 1985!