Transidentité chez les jeunes: va-t-on trop loin?

Du 5 au 8 octobre, un colloque international sur la santé Trans* s’est tenu à Genève, réunissant associations, médecins, militants et politiciens. Une association de parents s’inquiète de la médicalisation des jeunes qui se questionnent sur leur genre. Au cœur du débat: l’autodétermination des enfants et adolescents. Explications autour d’un dossier complexe.

  • Un colloque international sur la santé Trans* s’est tenu à Genève, du 5 au 8 octobre.MP

    Un colloque international sur la santé Trans* s’est tenu à Genève, du 5 au 8 octobre.MP

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«Nous ne sommes pas médecins. Nous constatons toutefois que la médicalisation lourde des jeunes en questionnement de genre fait l’objet de vives controverses internationales et que celles-ci sont négligées voire niées dans un climat ambiant trans-affirmatif, c’est-à-dire qui valide le «ressenti» du jeune, sans évaluation approfondie. En tant que parents, on se pose des questions et on s’interroge sur les conséquences de tout ceci pour nos enfants.» Ainsi commence la conversation avec deux représentants de l’Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes (AMQG).

Cofondateurs de l’association qui compte 70 membres, Stéphane Mitchell et Frédéric (nom connu de la rédaction) estiment que ce contexte qu’ils qualifient «d’idéologique» s’accompagnerait d’un «effet de contagion sociale» qui «pousserait» des adolescents à changer de sexe sur le plan social (changement de prénom et de pronom) et à transitionner médicalement (en prenant un traitement hormonal ou en se faisant opérer). Leur appel au respect du principe de précaution en la matière a été signé par près de 500 personnes, «dont des militants gays historiques, des médecins et des personnalités politiques», insiste le duo.

Trois conseillers d’Etat présents

Ils estiment aussi que les autorités affichent «des prises de position inopportunes» et s’étonnent par exemple que trois conseillers d’Etat soient intervenus au colloque international sur la santé Trans*, organisé par l’association Epicène à Genève, du 5 au 8 octobre. «La présence officielle de près de la moitié des membres du Conseil d’Etat genevois à ce colloque militant lui apporte une légitimité, alors même que les traitements prônés pour les jeunes sont hautement contestés à l’international», écrit l’AMQG, dans une lettre adressée à l’exécutif genevois en amont de l’événement.

Lors de son discours au colloque, le conseiller d’Etat chargé de la cohésion sociale, Thierry Apothéloz a reproché à l’AMQG de pratiquer «un lobby actif qui amalgame troubles de genre et maltraitance». Selon le magistrat socialiste, «le droit des jeunes trans à l’autodétermination (...) trouve son ancrage dans le droit». Un soutien officiel à l’approche trans-affirmative qui conforte la position critique de l’AMQG.

Autre point qui les préoccupe: la directive du Département de l’instruction publique (DIP), mise à jour le 13 juillet 2022. Elle indique aux enseignants la procédure à suivre afin de permettre la transition sociale d’un élève dans le cadre scolaire. Celui-ci ou celle-ci peut ainsi demander à changer de prénom et de pronom. Et ce, avec ou sans l’accord des parents.

«Je voulais aider ma fille mais je doutais de la méthode»

Ce cas de figure rappelle à Frédéric l’histoire de sa fille, aujourd’hui âgée d’une vingtaine d’années. «Lou* avait 16 ans, en 2019, lorsqu’elle m’a écrit une lettre me disant: «Je suis un garçon». Elle était déjà ultra-documentée et connaissait des médecins spécialisés», raconte-t-il. Ainsi débute son parcours transitionnel.

«Au début, en tant que parent, cette prise en charge par les associations et par des médecins vous rassure: vous ne vous sentez plus seul; le mal dont souffre votre enfant a un nom, soit la dysphorie de genre; et il existe une méthode comprenant trois étapes: le changement de prénom et de pronom, puis la transition chimique et enfin la transition chirurgicale.»

Conscient du mal-être de sa fille, Frédéric décide de la soutenir. «Je voulais l’aider mais j’ai commencé à avoir des doutes sur la méthode. Seulement voilà, si vous osez poser des questions, on vous demande: «Vous préférez une fille morte ou un garçon vivant?» Un jour, ce père reçoit une lettre de l’école adressée aux parents de «Léo*», «Je n’avais reçu aucune information du DIP, s’étonne-t-il. Son coming out en classe était planifié alors que ni ses grands-parents, ni ses cousins ne savaient.»

En parallèle, Lou*/Léo* choisit d’entamer sa transition sur le plan physique. «En seulement quatre séances individuelles, elle a obtenu un certificat attestant qu’elle présentait une dysphorie de genre. Et qu’elle avait la capacité de discernement nécessaire pour prendre la décision d’entamer une hormonothérapie et de subir une mastectomie. Le diagnostic fait six lignes. Six lignes pour déterminer l’avenir de ma fille», s’émeut Frédéric.

«Avec sa mère, on considérait que c’était trop tôt. On lui a demandé d’attendre un peu. Au début, ça a été l’effondrement. Puis, elle s’est rendu compte que ce qu’elle voulait c’était «être mieux», mais pas forcément être un garçon. Ce qui était capital, c’est qu’elle a toujours su qu’elle avait le choix. Disposant de l’ordonnance, elle pouvait faire sa transition sans nous.» S’ensuit la décision de stopper les contacts avec l’association et le médecin spécialisé.

Puis, après plusieurs mois, «elle a demandé à ses amis et ses proches de l’appeler de nouveau Lou*». Une décision qui l’amène à faire partie des «désisteurs» et qui conduit Frédéric à penser que l’association, le milieu scolaire, le médecin spécialisé sont allés trop vite en besogne.

«Aujourd’hui, on bloque la puberté, on donne des hormones, on fait des actes chirurgicaux sur des jeunes qui ne sont pas majeurs et dont on ne questionne pas le mal-être, préférant tout mettre sur le compte de la dysphorie de genre», conclut Stéphane Mitchell, en citant l’Académie nationale de médecine française qui met en garde contre «un risque de surdiagnostic, devant un phénomène d’allure épidémique». *prénoms d’emprunt

«Changer d’avis n’est pas la preuve d’une incapacité de discernement»

Ils s’appellent Vic ou Mya et ont transitionné. Parfois sans le soutien de leur famille. Et vivent, enfin, en accord avec leur nouveau corps. Ils et elles ont eu la possibilité de s’autodéterminer. Un concept fondamental lorsque l’on parle de transidentité et qui a été explicité à l’occasion du colloque international Santé Trans* qui s’est tenu la semaine dernière à Genève.

Invitée pour une conférence samedi 8 octobre, la bioéthicienne Samia Hurst insiste: «Il n’y a pas d’âge limite préétabli pour la capacité de discernement. On ne se développe pas tous au même rythme et certains choix sont plus difficiles à comprendre que d’autres. Juridiquement, une personne capable de discernement peut décider pour elle-même si elle consent ou non à une intervention médicale.»

Si tel est le cas, pourquoi y a-t-il des cas de détransition? «Parce qu’on peut vouloir revenir sur un choix qu’on a fait dans le passé, même quand on l’a fait en connaissance de cause. Nous avons tous le droit de nous tromper et de l’admettre ou de changer d’avis. Rappelons que ces cas sont très rares.»

Face aux inquiétudes des parents, Samia Hurst explique que «l’adéquation à une vision pré établie de la «bonne vie» n’entre pas en ligne de compte pour déterminer la capacité de discernement. On doit bien sûr aussi comprendre les difficultés que vivent les parents et œuvrer vers un cheminement commun. Cela dit, ne pas respecter le droit d’autodétermination d’une personne capable de discernement, même mineure, c’est ne pas respecter sa personnalité».

A ceux qui pensent qu’il s’agit d’un effet de mode, la professeure Denise Médico, psychologue et sexologue, aussi invitée au colloque, répond: «Une transition est un processus de réflexion clinique complexe. On évalue les risques et les bénéfices.»

Pourquoi une telle hausse des cas? «Tout simplement parce qu’on est passé de très peu de cas à quelques cas. En Suisse, une récente étude d’Unisanté a porté sur 1559 jeunes vaudois. 1,1% disent être trans et 1,3% sont en questionnement par rapport à leur genre. Des pourcentages comparables à ce que l’on retrouve ailleurs. Tous ces jeunes ne demandent pas des traitements médicaux.» Regrettant les attaques parfois virulentes, Denise Médico insiste sur la nécessité de soutenir ces jeunes en souffrance. MP