Un cannabis chimique dangereux se répand à Genève

  • Indétectable à l’œil nu, le cannabis de synthèse est beaucoup plus puissant que celui dit récréatif.
  • Concrètement, il s’agit de CBD, chanvre légal, aspergé d’un produit chimique illégal potentiellement mortel.
  • De quoi inquiéter les milieux de la prévention.

  • Des organisations criminelles ajoutent les cannabinoïdes synthétiques, dangereux pour la santé, à des produits légaux. 123RF

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«J’ai vraiment cru que ma dernière heure était arrivée»

Jean-Marc*, consommateur régulier de cannabis

Récemment arrivé sur le marché noir romand, notamment dans les cantons de Genève et de Vaud, le cannabis synthétique est d’abord une arnaque dangereuse pour la santé. «Le consommateur croit acheter du cannabis classique, alors qu’en réalité il s’agit de CBD [cannabis légal] sur lequel des dealers ont sprayé des cannabinoïdes synthétiques, précise Pierre Esseiva, professeur en sciences criminelles à l’Université de Lausanne. Pour le dealer, c’est un business extrêmement juteux, car le kilo de CBD coûte environ 400 francs alors que celui du cannabis trafiqué s’élève à 4000 francs. En gros, la marge de profit est décuplée. Mais attention, car ce cocktail est au minimum dix fois plus puissant et ses effets bien plus rapides.»

Un avis partagé par Frank Zobel, vice-directeur d’Addiction Suisse: «Selon les molécules utilisées, il peut être beaucoup plus puissant que le THC du cannabis, ce qui signifie que la question du dosage est essentielle. Or, si on spraye ces produits n’importe comment, le consommateur peut être exposé à de fortes doses qui peuvent être très dangereuses.»

Tachycardie et hallucinations

Cette dangerosité, Jean-Marc*, un consommateur régulier de chanvre habitant la région lausannoise, l’a expérimentée à ses dépens: «Après avoir commencé à fumer mon joint, je me suis très rapidement senti mal. J’ai vraiment cru que ma dernière heure était arrivée. Mes amis ont dû m’emmener aux urgences car ils ont paniqué quand j’ai commencé à avoir des hallucinations et de la tachycardie. Franchement, c’est vraiment une substance flippante et le pire dans tout ça, c’est qu’elle est en apparence absolument identique au cannabis classique. Visuellement, mais aussi au niveau de l’odeur. Je connais de plus en plus d’amis qui se font berner.»

Ce phénomène n’étonne pas vraiment Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions (GREA): «La production de ces substances est laissée à des organisations criminelles. Celles-ci s’intéressent au profit, pas à la santé publique. C’est un cas typique où la prohibition des drogues favorise un marché qui fait plus de dommages que les drogues elles-mêmes.»

Réflexe du drug checking

Généralement fabriqués en Asie et faciles à se procurer sur Internet, les cannabinoïdes synthétiques obligent les milieux de la prévention à réagir. Ces derniers incitent les consommateurs à tester leurs produits dans l’un des drug checking de Suisse, comme le rappelle Melody Guillaume, collaboratrice scientifique chez Infodrog, la centrale nationale de coordination des addictions: «L’analyse en laboratoire est la seule possibilité pour détecter le type et la présence de cannabinoïdes synthétiques.»

Plus que jamais la vigilance doit donc être de mise car même s’il n’a pas encore massivement infiltré le marché de la drogue romand, le cannabis synthétique fait déjà des ravages sur la santé de certains consommateurs…

* prénom fictif, identité connue de la rédaction

Ubérisation du marché de la drogue

FB • Le dernier Rapport européen sur les drogues révèle que la pandémie a accru la dématérialisation du trafic. En d’autres termes, les dealers se sont adaptés aux divers confinements afin de proposer leur marchandise sur Internet. Que ce soit sur les réseaux sociaux, à travers des messageries cryptées ou encore sur le darknet. Dopant ainsi la livraison de drogue à domicile. Le rapport souligne que cette «hyperdisponibilité» peut être jugée inquiétante. C’est surtout vrai chez les jeunes et les plus précaires. En conclusion, l’étude rappelle qu’il est essentiel de combiner des efforts de sécurité, mais aussi de santé. En d’autres termes, un savant mélange entre répression et prévention.