Au temps du Covid-19, la justice genevoise vit au ralenti

Audiences d'instruction annulées, procès reportés et procédures dématérialisées, l’impact de la crise sanitaire sur l’activité judiciaire est colossal.

  • Seules les audiences les plus urgentes, par exemple, dans la filière pénale, celles concernant des personnes détenues, ont été maintenues. DR

«Un tsunami!» Telle est l’image choisie par le pénaliste Me Robert Assaël pour décrire l’impact du Covid-19 sur l’activité judiciaire genevoise. Touché comme tous les secteurs par la crise sanitaire, le monde judiciaire a connu un sérieux coup de frein à la mi-mars. «La pandémie a entraîné de fortes perturbations, confirme Patrick Becker, qui s’exprime pour le Pouvoir judiciaire. Dès le 16 mars, les effectifs travaillant sur site ont été réduits dans toute la mesure possible. L'activité des juridictions a initialement été limitée au strict nécessaire.» Seules les audiences les plus urgentes, par exemple, dans la filière pénale, celles concernant des personnes détenues, ont été maintenues. «Le Ministère public a par ailleurs assuré de manière continue la permanence des arrestations», poursuit Patrick Becker. A noter aussi que les délais de recours ont été prolongés.

Les avocats ont bien senti le changement de rythme. «On est passé du TGV au pédalo», lance Me Assaël. A titre d'exemple, le nombre d'audiences d'instruction tenues par les procureurs a été réduit à 20 par semaine en moyenne pendant les six premières semaines, soit environ 20% de l'activité ordinaire. 

Huis clos partiel systématique

De nombreuses adaptations ont été nécessaires, au pénal mais aussi au civil et dans la filière administrative. Le huis clos partiel est systématique. Autrement dit: pas de public, à l’exception de la presse. Les horaires des audiences sont échelonnés, «pour éviter un flux trop important de personnes, précise Patrick Becker. S’ajoutent la mise à disposition de solutions hydro-alcooliques en suffisance, y compris dans les salles d'audience, l’installation de parois transparentes de séparation en plexiglas, la prise de température à l'entrée du bâtiment et le nettoyage plus fréquent des locaux et du mobilier.»

Les salles d’attente et d’audience ont aussi été réaménagées, afin de respecter le maintien des distances de sécurité. «J’ai plaidé lundi dernier, raconte Robert Assaël. Le prévenu portait un masque et les trois juges habituellement côte à côte siégeaient chacun à un bout de la table et à une table différente pour le troisième.»

Une configuration qui ne plaît guère à l’ancien bâtonnier, Me Vincent Spira. «Il n’est pas concevable pour moi d’exercer ma mission d’avocat si, au Ministère public mais aussi en audience de jugement, je suis contraint d’être éloigné de mon client, ce qui m’interdit de converser librement avec lui.» Et d’indiquer la difficulté de reprendre les audiences dans ces conditions qui, selon ses mots, «entravent l’essentiel des droits de la défense». 

Recours à l’écrit

Autre conséquence de la crise sanitaire: l’activité du Tribunal des mesures de contraintes (TMC), qui concerne la prolongation ou la mise en liberté des détenus, a été intense. Les audiences au TMC ont été remplacées par des procédures écrites. «J’ai même entendu dire qu’un avocat avait fait sa plaidoirie au juge par téléphone», raconte Me Assaël. A ce sujet, Me Saskia Ditisheim se dit «inquiète d’une dérive à terme, au pénal, de procédures principalement écrites alors que la règle est celle de l’immédiateté et de l’oralité».

Concernant la reprise de l’activité judiciaire, elle se fait peu à peu. Mais, comme l’indique Patrick Becker, «le retard accumulé est important. Et, il continue à s'accumuler, ne serait-ce qu'en raison du respect de la distance sociale de sécurité, qui limite très fortement le nombre d'audiences susceptibles d'être tenues en l'état. Le résorber prendra bien des mois.» Un constat que partagent les avocats.

Champ-Dollon impacté 

En prison aussi, la crise sanitaire a eu un fort impact. Le plus visible étant la baisse du nombre de détenus. Champ-Dollon est ainsi passé de 630 avant la crise à 500 aujourd’hui. Pourquoi? «Il y a eu moins de cambriolages, car les gens étaient confinés chez eux et moins d’actes violents liés à l’alcool, les restaurants et bars étant fermés. Cela étant, il y a aussi eu une décision de politique criminelle de moins arrêter. C’est donc possible», avance Me Robert Assaël. 

Au nom du Ministère public, Patrick Becker confirme que «les arrestations par la police ont été moins nombreuses. Pour le reste, c'est surtout le report de l'exécution de certaines peines qui a conduit à la baisse de l'effectif des détenus. Le rattrapage risque bien d'être fastidieux.» En revanche, il précise que «les critères légaux présidant à la détention provisoire sont très stricts et que leur application n'a pas été modifiée avec la pandémie». 

Ce que déplore Me Yaël Hayat. «A mes yeux, le Covid-19 en tant que tel peut à certaines conditions justifier une mise en liberté. C’est le cas d’ailleurs dans d’autres régions du monde et de la Suisse.»