Caravane de solidarité: «Une aventure humaine incroyable»

Dans les coulisses de l’opération de distribution alimentaire à grande échelle qui s’est achevée samedi 6 juin aux Vernets, un noyau dur a œuvré. Rencontre avec des personnes remarquables.

  • Une équipe de bénévoles soudée et fière d’avoir «participé à quelque chose d’historique». MARIE PRIEUR

Samedi 6 juin, à la patinoire des Vernets, la fatigue se mêle à l’émotion. Après quasi deux mois d’un travail acharné, les organisateurs de la Caravane de solidarité raccrochent leur chasuble jaune. Mission accomplie! Un selfie, quelques mots et des larmes viennent clore ce que tous définissent comme une aventure hors-norme. Au centre de ce dispositif de distribution alimentaire, porté aussi par les Colis du cœur, une poignée d’hommes et surtout de femmes. Qui sont-ils? Et que retiendront-ils de cette expérience? 
 
«Chacun sa part de responsabilité»

Au commencement, il y a Silvana Mastromatteo. La présidente de la Caravane de solidarité, âgée de 53ans, habite en Suisse depuis trente-cinq ans. De ses origines italiennes par son père et colombiennes par sa mère, elle a conservé son accent chantant. «Moi, je n’ai pas eu de problème de papier quand je suis arrivée ici. Mais je me suis promis d’aider les sans-papiers.» D’où son engagement dans le milieu associatif depuis les années 1990. Elle et son mari, Gérald Thomann, un Suisse pur jus, se sont engagés sans compter dans l’opération des Vernets. Tout comme leur bras droit, Charly Hernandez. «Tout être humain est responsable de l’endroit où il vit, estime cette mère de quatre enfants. C’est toujours facile de rejeter la faute sur les autres. On devrait tous faire valoir les droits des plus vulnérables. On a chacun sa part de responsabilité.»

«Famille hypermobilisée»

Un sentiment que partage Tatiana Lista Auderset. Dans la vie, cette femme pétillante aux longs cheveux bruns est responsable des actions culturelles à la Comédie de Genève. Rien ne la prédestinait à devenir la coordinatrice des bénévoles de la Caravane. «Comme beaucoup, quand cette crise sanitaire est arrivée, j’étais soucieuse. Des gens allaient se retrouver sur le carreau.»
En apprenant qu’une distribution alimentaire a eu lieu sur la plaine de Plainpalais le 18 avril et que l’association a été débordée par la foule, elle passe à l’action. «Je me suis dit que j’étais une criminelle si je ne faisais rien.» Avec l’accord de sa direction, elle devient l’une des chevilles ouvrières du dispositif. «Je dispose d’une base de données de 560 bénévoles. Je n’ai pas pu contacter tout le monde!» A l’heure de clore ce chapitre, elle lâche, les larmes aux yeux: «Ça a été une aventure humaine incroyable. On a formé une famille hypermobilisée. Tout mon univers a basculé.» Celle qui, pour ses 41 ans justement ce samedi 6 juin, estime avoir reçu le plus beau des cadeaux conclut:  «On a vécu quelque chose d’exceptionnel et on s’en est rendu compte.»

L’humanitaire à Genève

Ce n’est pas Naoufel Dridi, logisticien d’urgence à Médecins sans frontières (MSF) qui dira le contraire. Et pourtant, l’humanitaire, c’est son métier, sa «passion». En vingt ans sur le terrain pour MSF, ce barbu de 48 ans à la tignasse frisée, en a vu d’autres, telle que la gestion d’Ebola en 2014 en terres africaines. «Le faire dans l’endroit où l’on vit, c’est très spécial, voire déstabilisant, explique-t-il. J’ai énormément appris. Nous venions tous d’horizons, de cultures, de milieux professionnels différents. Et on s’est retrouvé là, avec un objectif commun. On parlait de distanciation sociale et parallèlement, on n’a jamais été aussi proches, toutes fonctions confondues.» Il ajoute: «On ressent aussi une certaine fierté. On a participé à quelque chose d’historique.»

L’urgence d’agir

Ils sont aussi plusieurs à avoir œuvré en coulisses au nom de la Ville de Genève. Parmi eux, impossible de ne pas citer Serge Mimouni, directeur adjoint au Département de la cohésion sociale et de la solidarité. Mais aussi et surtout: Isabelle Widmer. La cheffe du service des écoles a enfilé le costume de coordinatrice des opérations avec enthousiasme et conviction. «J’ai travaillé dans l’humanitaire avant d’être à la Ville, souligne cette quinquagénaire, mère de trois enfants, reconnaissable à son large sourire. Cette misère humaine nous a scotchés. On se devait d’agir. Et c’est ce qu’il y a de formidable avec la Ville, c’est que face à une situation d’urgence, fini les lenteurs de l’administration, ça bouge!» Elle qui explique avoir toujours «été mal à l’aise avec les étiquettes» gardera gravés dans sa mémoire la diversité et le «mélange» tant au sein des organisateurs que des bénévoles: «Un des traducteurs était un mineur non accompagné et, à côté de lui, un professeur d’université.» Quant à ses trois comparses, elle ne peut s’empêcher d’être une peu triste à l’idée de voir leur coopération quotidienne prendre fin. «On s’est retrouvé autour de valeurs humaines. On a eu beaucoup de plaisir à travailler ensemble et on a beaucoup ri», conclut-elle.
Une cohésion qui a déteint sur l’ensemble des bénévoles. De quoi faire dire à Tatiana Lista samedi à l’heure de la clôture: «C’est définitivement l’union qui fait la force!» 

 

Près de 16’000 colis distribués. Et après?

Six opérations ont été menées aux Vernets depuis le 2 mai.
• 1500 colis ont été distribués le premier samedi et 3100 (auxquels s’ajoutent 500 bons) samedi 6 juin. 
• En tout: 15’967 colis. Soit 207 tonnes de nourriture.
• Le nombre de bénéficiaires servis par minute est passé de deux à douze entre le premier et le dernier samedi. 
• Le coût pour la Ville de Genève: 22’000 francs (entretien de la patinoire, sécurité, nourriture pour les bénévoles). 
• Les donateurs ont été près de 5000. 
• Chaque week-end, 200 bénévoles se sont mobilisés les vendredis et samedis. 
• 14’000 personnes inscrites au Colis du cœur.
• La distribution sera décentralisée, avec deux lieux en Ville de Genève (dès le 17 juin): école de Trembley et Hugo-de-Senger. Mais aussi à Vernier, Meyrin, Versoix, Grand-Saconnex et Carouge. Et ce, jusqu’au 15 septembre.