«Dans l’espace public, je me sens comme une proie»

Une enquête auprès de 80 femmes s’est penchée sur leur ressenti dans l’espace public, les obstacles qu’elles rencontrent et les stratégies qu’elles développent pour y remédier.

  • Du 9 au 29 novembre, de nouvelles affiches seront placardées dans les rues de Genève. VILLE DE GENÈVE

  • VILLE DE GENÈVE

  • Du 9 au 29 novembre, de nouvelles affiches  seront placardées dans les rues de Genève. VILLE DE GENèVE

    VILLE DE GENÈVE

Genève, cosmopolite et moderne, est-elle une ville égalitaire? C’est pour répondre à cette question que l’Université de Genève a réalisé une enquête portant sur la pratique des femmes dans l’espace public. Lancée à l’automne 2019 sur demande de la Ville de Genève, cette étude s’est penchée sur le ressenti et les pratiques de 80 femmes, issues de différents groupes socio-économiques, de statuts (célibataire, avec enfant…), de confessions et d’âges variés.

«Ce qui ressort tout d’abord, c’est que Genève est une ville où il fait bon vivre», commente la professeure Marylène Lieber, chargée de l’étude. Autre constat: «Pour nombre de femmes, surtout celles ayant des personnes à charge, l’espace public constitue une extension de la sphère domestique.» Ainsi, lorsqu’on leur demande où elles vont pendant leur temps libre, ces dernières indiquent des lieux en lien avec les tâches du ménage: les grands magasins, la crèche, la sortie de l’école…

Sentiment d’insécurité

Mais l’enseignement le plus fort de cette enquête est sans doute la récurrence des formes de violence sexiste. «Beaucoup ont affirmé se sentir «comme une proie» dans l’espace public», souligne Marylène Lieber. Une formule choc qui résume bien le sentiment général. «Les femmes ne se sentent pas totalement légitimes. Elles ont comme l’obligation de circuler. L’une d’elle commente: «Moi, l’espace public, je ne l’habite pas, j’y passe.» Elles sont nombreuses à témoigner du sentiment d’insécurité dans les transports en commun, de l’impossibilité de lire un livre seule dans un parc sans être abordée.

Adapter sa coupe de cheveux

«Cette tension perpétuelle semble diminuer avec l’âge, précise la sociologue en étude de genre. Car les femmes développent un savoir-faire, elles normalisent leurs pratiques.» C’est ainsi que, pour éviter de se faire em… dans la rue, les femmes adaptent leurs tenues ou même la longueur de leurs cheveux. Ni trop long pour ne pas être trop féminine, ni trop court en ce qui concerne une femme lesbienne pour éviter les propos ou agressions homophobes. Parmi les stratégies déployées: éviter certaines heures, certains lieux, certains modes de déplacement ou encore toujours porter des écouteurs pour ne pas être importunée.

Former les agents de police municipale

Forte de ces constats, l’étude propose des recommandations, telles que le fait d’«inclure la notion de genre dans l’aménagement de l’espace public; la mise en place d’une politique de transports abordables et sécures» ou encore de renforcer les actions de sensibilisation.

Autant de buts intégrés dans le plan d’action municipale «Objectif zéro sexisme dans ma ville» porté par le service Agenda 21 du Département des finances, de l’environnement et du logement (DFEL) et adopté par le Conseil municipal en février 2019.

Parmi les nombreuses mesures de ce plan, on peut citer l’intégration d’un module portant sur le sexisme et le harcèlement dans l’espace public à la formation des agents de police municipaux. Mais aussi la féminisation des noms de rue. Ou encore la campagne d’affichage qui entre dans sa troisième phase le 9 novembre et se prolongera jusqu’au 29. Avec des slogans tel que: «C’est mon droit de flâner en toute sérénité.» «On aurait pu croire que c’était une évidence à Genève en 2020, conclut Marylène Lieber. Mais ce n’est toujours pas le cas…»