La Suisse dans le viseur des terroristes

Malgré les récentes menaces, la Suisse ne possède aucune loi anti-terroriste. Les autorités jugent le pays juridiquement armé. Faux rétorquent des experts qui veulent changer la donne.

  • La Suisse, une cible facile? PHOTOMONTAGE ISTOCK/GHI

    La Suisse, une cible facile? PHOTOMONTAGE ISTOCK/GHI

«Un texte spécifiquement dédié au terrorisme n’est pas nécessaire»

Hughes Hiltpold, membre de la Commission de la politique de sécurité

La Suisse ne possède aucune loi antiterroriste. Voilà, c’est dit. L’affirmation peut étonner au premier abord, d’autant qu’elle trouve un écho particulier après les événements survenus, courant janvier dans la région parisienne, en Belgique et suite aux menaces directes proférées contre la Suisse.

De quoi s’inquiéter? Officiellement pas! Les autorités et les spécialistes en cas d’attaque jugent la législation actuelle suffisante. Car si la Suisse n’a pas, contrairement à une grande majorité de pays, adopté de texte réglant spécifiquement les questions relatives au terrorisme, c’est d’abord parce que «tout acte terroriste matériel – homicide, prise d’otages, destruction d’infrastructures, etc. – est déjà couvert par une disposition existante du Code pénal», explique Frédéric Bernard, auteur d’une thèse de doctorat sur «l’Etat de droit face au terrorisme» et chargé de cours à l’Université de Genève.

Loi en cours d’élaboration

Les articles 260 et suivants du Code pénal, en particulier, régissent les sanctions à l’égard des crimes et délits, qu’importe qu’ils soient commis dans un cadre terroriste ou non. «Nous avons des lois pour lutter contre les extrémismes et une loi sur le renseignement en cours d’élaboration (lire brève ci-contre). Un texte spécifiquement dédié au terrorisme n’est pas nécessaire», assure Hughes Hiltpold (PLR/GE) membre de la Commission de la politique de sécurité. Pour Frédéric Bernard aussi, une loi antiterroriste apporterait peu sur le plan juridique. Il considère que la Suisse est «parfaitement armée», juridiquement parlant, pour faire face au terrorisme sur le plan pénal.

Plus de souplesse

Un avis que ne partage pas Jean-Paul Rouiller, directeur du Centre genevois d’analyse du terrorisme et ancien pro du Service de renseignement de la Confédération. S’il considère que la Suisse est en mesure de faire face à une action terroriste de basse et moyenne intensité (lire encadré ci-dessous) , sur le plan juridique, c’est autre chose: «Il n’y a que le diable qui se cache dans les détails… Une loi antiterroriste serait à même d’agir sur des comportements qui ne relèvent pas du Code pénal actuel.» Il condamne les délits constitués et les actes préparatoires, «mais leur définition est tellement restrictive et précise que cela ne peut intégrer la complexité du terrorisme.» En effet, ce dernier peut englober une multitude d’actes allant de la procuration de faux papiers à l’achat de matériel qui in fine servira à fabriquer des explosifs.

Capacité d’action

Une manière aussi de prendre en compte «l’étroite corrélation entre action et intention» que la Suisse n’a pas intégrée selon lui. Le but concret d’une loi antiterroriste: pouvoir condamner n’importe quel acte individuellement dès lors qu’il est commis dans un but terroriste. «Cela donnerait à notre pays la souplesse et la capacité d’action dont il a besoin en la matière.»

En automne dernier, le Conseil fédéral a certes voté, en urgence, une loi interdisant les organisations terroristes telles qu’Al-Qaïda ou l’Etat islamique, et leurs activités sur le territoire helvétique. Mais il a lui-même admis que l’apport de cette loi était essentiellement symbolique.

«L’Etat islamique menace directement la Suisse. Une première!»

PK • Ancien analyste du Service de renseignement de la Confédération, Jean-Paul Rouiller a créé la première unité de lutte contre le terrorisme de la Police judiciaire fédérale. Depuis 2011, il dirige le GCTA, centre d’analyse du terrorisme, situé à Genève.

GHI:Une récente vidéo menace clairement la Suisse d’attentats. Pas de quoi s’alarmer dit-on à Berne. N’est-on pas un peu naïf après ce que viennent de vivre la France et la Belgique?

J.-P. Rouiller: Il y a ce qui est dit et qui vise à ne pas inquiéter la population. Et puis il y a la réalité des faits: la situation sécuritaire a évolué, car c’est la première fois que l’Etat islamique (EI) menace directement la Suisse. Par le passé, Al-Quaïda l’avait fait, mais jamais l’EI. C’est une première à prendre au sérieux!

– Selon vous, notre pays se donne-t-il suffisamment de moyens pour faire face à ce qui, un jour, pourrait nous arriver?

– La Suisse fait face aux mêmes problèmes que les autres Etats. Ses services de sécurité ont une masse d’informations à disposition, ils travaillent en permanence, mais la nature de la menace a changé, ce qui rend ce travail très difficile. Face aux erreurs commises par le passé, et qui ont lui ont coûté très cher, Al-Quaïda a adapté ses stratégies opérationnelles. Elles ont été poussées à l’excès par l’Etat islamique qui a suggéré à ses sympathisants d’agir directement dans leur propre pays. Une stratégie qu’on pourrait résumer ainsi: on sème... on verra ce qu’on récolte! A ce titre, les cas de l’hypermarché casher de la Porte de Vincennes, comme la récente fusillade d’Ottawa ou la prise d’otages de Sydney, sont emblématiques.

– Une stratégie nouvelle qu’on ne comprend pas suffisamment, notamment dans le monde politique?

– Oui, il y a chez certains un manque de recul, d’ouverture et donc de compréhension globale de la situation. Voire même un peu de naïveté qui pousse à réfléchir uniquement en termes sécuritaires et pas en termes sociétaux.

– Peut-on dire que les polices cantonales suisses seraient aussi efficaces en cas de nécessité?

– Toutes proportions gardées, oui. Certains corps cantonaux, ceux de Genève, Vaud, Berne ou encore Zürich, ont été formés soit par le GIGN lui-même, soit par des unités spécialisées anglaises et allemandes. Le seul hic, c’est le manque d’expérience!