Le saviez-vous? Les morts aussi ont des droits...

TOUSSAINT • Qui peut disposer d’un cadavre? Faut-il une autorisation pour faire de la recherche sur un mort? Quelles sont les méthodes alternatives de sépulture? Dans son impressionnante thèse, le Vaudois Nicolas Tschumy dresse un panorama inédit du statut juridique du cadavre humain en Suisse.

  • Pour rédiger sa thèse, Nicolas Tschumy est parti à la rencontre de ceux qui côtoient la mort au quotidien

Passer cinq ans parmi les morts, il fallait le faire. Nicolas Tschumy l’a fait. Le résultat? Une thèse de 637 pages  riche et exhaustive. Son titre: «Le corps humain après la mort». Avocat stagiaire dans une étude lausannoise, le Vaudois a analysé le statut juridique du cadavre humain en Suisse.
La mort cérébrale questionnée
Cet ancien assistant au Centre de droit privé de l’Université de Lausanne constate que beaucoup de choses ont été écrites sur le début de la vie, le statut des embryons, l’enfant à naître, mais la fin de la vie, elle, a suscité moins d’intérêt de la part des chercheurs. «A ma connaissance en Suisse, sous cet angle-là, c’est le premier travail. Il existait déjà des recherches plus restreintes ou des travaux plus spécifiques sur l’autopsie, le don d’organes, mais pas la vision transversale et l’analyse systématique du statut du cadavre.»
Pour écrire sa thèse, Nicolas Tschumy a consulté la doctrine, les ouvrages d’autres juristes, la législation et la jurisprudence. Mais il ne s’est pas contenté de rester derrière son ordinateur, il est également allé à la rencontre de ceux pour qui la Grande Faucheuse, c’est le quotidien: médecins, employé des pompes funèbres et responsable de cimetières. Dans sa thèse, le juriste signale que des philosophes remettent en question le critère de la mort cérébrale, en affirmant que la vie humaine ne se limite pas à celle de son cerveau. La mort de seulement 3 % de la masse du corps – le cerveau – ne suffirait pas à conclure à la mort, alors que 97 % restent vivants. Le fait qu’une partie des fonctions vitales soit compensée artificiellement par une machine n’est pas pertinent pour déclarer qu’une personne est décédée. «Par exemple, lors d’une opération cardiaque avec circulation extracorporelle, on ne considère pas que le patient est momentanément décédé», détaille le juriste.
La mort spectacle
Dans le chapitre sur la protection pénale du cadavre, Nicolas Tschumy s’intéresse à la technique que l’anatomiste allemand Gunther von Hagens a mise au point en 1977. Elle permet de «plastiner» des corps humains. En résumé, le principe consiste à remplacer les liquides organiques comme l’eau et le sang par du silicone de caoutchouc ou de la résine époxy. Depuis les années 90, de nombreuses expositions de corps plastinés ont parcouru le monde. Elles montrent des cadavres conservés intacts. Le juriste questionne leur légalité, en particulier sous l’angle du droit pénal: ces expositions constituent-elles la profanation ou l’outrage public d’un cadavre?
En Suisse, l’exposition «Body Worlds» s’est tenue en 2010 à Zurich, en 2012 à Bâle et de septembre 2017 à janvier 2018 à Genève. En 2018, rebelotte, l’exposition «Real Human Bodies» s’est tenue à Berne et était prévue à Lausanne. Dix jours avant l’ouverture, une plainte a été déposée auprès de la Municipalité de Lausanne par une association. Selon elle, il y avait des risques que les cadavres soient ceux de prisonniers chinois ou d’adeptes d’un mouvement interdit en Chine. L’organisateur de l’exposition n’a pas pu amener une preuve suffisante de l’origine licite de ces corps. La Municipalité a donc interdit l’exposition. Le juriste vaudois explique. «Un recours a été déposé et le Tribunal cantonal vaudois a rendu un arrêt confirmant l’interdiction de l’exposition. Dans son arrêt, il examine uniquement la compétence de la Municipalité de Lausanne et la proportionnalité de sa décision, vu l’incapacité des organisateurs à prouver l’origine des cadavres. Les juges admettent cependant qu’une telle exposition n’est pas anodine et soulève une question d’ordre public.»

 

Qui sont les proches?

Beaucoup de personnes n’ont pas prévu le sort qu’ils souhaitent réserver à leur dépouille. Dans ce cas, ce sera aux proches de le déterminer. Nicolas Tschumy détaille la notion de proximité avec le défunt. «Les proches parents et les personnes qui vivaient en ménage commun avec le défunt sont des proches, mais d’autres personnes ayant entretenu des liens étroits avec le défunt peuvent faire respecter sa volonté.» En cas de conflit, le droit revient au proche qui était le plus étroitement lié avec le défunt. En premier lieu, la personne qui partageait la vie du défunt 
– conjoint, partenaire enregistré ou concubin – puis les descendants, les parents et enfin les frères et sœurs. Cet ordre peut être remis en question et l’analyse des liens doit se faire en se basant sur des éléments concrets.