Etre entrepreneur: solitude et responsabilité

SACERDOCE • Un entrepreneur, ça n’est pas un bonhomme avec un cigare, dans son bureau, qui fait bosser les autres. Non, c’est un être passionné. Angoissé. Cinglé de finitions. Et, au fond, totalement seul.

  • Le patron solitaire, qui n’a confiance qu’en lui-même, fait tout tout seul. 123RF

    Le patron solitaire, qui n’a confiance qu’en lui-même, fait tout tout seul. 123RF

Avoir une entreprise à soi, sous certains aspects, c’est rien que des emmerdes. Du souci, 365 jours par an. Tu es seul, par exemple, après avoir eu l’honneur et la joie d’avoir eu des employés, plusieurs années. Tu es seul, tu fais tout toi-même, parce qu’au fond, tu n’as jamais rien su déléguer. Jamais voulu. Jamais pu, c’est plus fort que toi. Tu n’as confiance qu’en toi-même, c’est une limite évidemment, une immense lacune, mais c’est ainsi, on ne refait pas la nature des gens. C’est très orgueilleux: tu considères que le boulot ne sera bien fait, dans ses finitions, que si ça vient de toi. C’est évidemment faux, objectivement, plein de gens sont très qualifiés, tu le sais avec la tête, mais ton bide te dit de t’en passer.

Accomplir la mission

Tu fais tout toi-même, parce que tu te sais capable du meilleur comme du pire. Pour le meilleur, tu te féliciteras, pour le pire tu te passeras une monumentale bordée. A toi-même! C’est pas loin de la folie, la part de parano y est immense, ai-je bien fermé la porte du bureau en partant, les fenêtres, éteint les ordinateurs? De l’extérieur, tu passes pour un cinglé de première, un vieux maniaque, vermoulu de petites habitudes, qui te rongent de l’intérieur, comme un nid fébrile d’aiglons affamés. Tu ne penses qu’à une chose: accomplir la mission. L’intendance? Non seulement tu ne la sous-estimes pas, mais elle est capitale! Correspondance, réseau, collecte d’informations, qualité des renseignements recueillis, comptabilité, ménage. Pour ma part, j’adore cette routine, lui accorde autant d’importance qu’aux actions visibles.

La jouissance par le labeur

Cette valorisation des actes simples, basiques, présente un avantage: elle t’amène à un immense respect pour tous les métiers du monde, à commencer par les plus ingrats, les plus modestes. Tu parles à tous de la même manière, au nettoyeur comme au grand patron. Tu considères les humains comme égaux. Tu n’établis aucune hiérarchie en fonction de la condition sociale. Tu respectes toute personne accomplissant un boulot pour gagner sa vie, entretenir les siens. Du travail, tu as gardé la vieille conception biblique, héritée de la Genèse, lorsqu’il faut quitter le Paradis: «la sueur de ton front». Mais ton boulot, tu l’aimes, toi, tu t’y réalises. C’est plus facile que pour une tâche physiquement éreintante, et mal considérée. Pour cela, oui cette jouissance par le labeur, tu es un privilégié.

Tu es seul, mais avec tes partenaires, tu dois entretenir la confiance. Dans le monde du travail, elle est essentielle. Respect mutuel, tenir les délais, qualité des finitions, sens tout helvétique de l’exactitude. Là aussi, c’est la base: tu n’inventes rien, tu ne refais pas le monde, tu ne prétends pas révolutionner l’univers de l’entreprise avec des mots de snobinards de cocktails, comme «start-up». Non. Tu fais le boulot. Tu y prends du plaisir. Tu accomplis ta mission.