A Genève, le nombre de 
bureaux vides explose!

Plus de 300’000 m2 de bureaux et 23’500 m2 de surfaces commerciales sont sur le marché. Des députés veulent assouplir la loi pour faciliter leur transformation en logements.

  • Toutes les surfaces à louer du quartier de l’Etoile n’ont pas encore trouvé preneur. Photo TR

«De nombreuses contraintes administratives freinent aujourd’hui les élans des propriétaires», Amar Madani

Plus de 314’000 m² de bureaux et 23’500 m² de magasins ou arcades commerciales vacants. Les statistiques cantonales sont claires: la Genève commerciale n’est pas à l’étroit dans ses murs. D’autant que ces chiffres sont, disent plusieurs observateurs, en deçà de la réalité. Serait-elle soumise au même phénomène que d’autres villes européennes comme Paris et Madrid, dont les centres d’activités se vident? Aurait-on préjugé du dynamisme économique et indûment construit à tour de bras?
Pour Jacques Béné, directeur des services généraux et de l’immobilier à la Fédération des entreprises romandes (FER), il ne faut pas peindre le diable sur la muraille: «Par rapport au volume global occupé par les bureaux et qui couvre près de 5 millions de m², il est difficile de dire que l’on a surévalué les besoins. Avec environ 6% de surfaces disponibles, le ratio demeure raisonnable. Pour le surplus, il faut relever que toutes les nouvelles constructions ont été réalisées là où le monde des affaires allait se déplacer». Et il se déplace, peu ou prou!
Facture énergétique
«En ville, des bureaux se libèrent parce que les structures ne sont plus concurrentielles avec des immeubles plus récents, plus modernes et donc moins gourmands en termes énergétiques. La facture peut, sur ce plan, aller du simple au triple. L’obsolescence des installations pèse aussi dans la balance. En clair, on peut trouver mieux et moins cher». Le développement des surfaces commerciales dans le secteur Lancy-Pont-Rouge semble illustrer, ce nouvel exode. «Le site a su jouer sa carte en profitant de la proximité de la nouvelle gare du Léman Express pour drainer des entreprises dans des espaces adaptés aux besoins actuels», reprend le représentant de la FER.
Et pourtant, d’après la plateforme PilierPublic.com, qui compile les données publiées sur les feuilles d’avis officielles, le Canton compte actuellement 1421 bâtiments destinés aux bureaux, contre 1403, cinq ans plus tôt. Cette évolution qui reflète les démolitions et nouvelles constructions de bureaux, ainsi que le changement d’affectation de bâtiments, (notamment la transformation de bureaux en logements). «Pour les immeubles de bureaux, les autorisations de construire sont restées stables, environ 45 par année. Il faut toutefois préciser que le nombre est plus élevé ces deux dernières années, sans doute pour rattraper les retards causés par la crise du Covid», détaille Guilhem Tardy, fondateur de PilierPublic.com.
Il y a encore des freins
Transformer des bureaux en appartements? La commission du logement du Grand Conseil doit prochainement présenter une motion qui facilite ce changement d’affectation. Aujourd’hui, nonobstant l’assouplissement de la Loi sur les transformations,rénovations et démolitions (LDTR) que le peuple a approuvé en 2015, la conversion de locaux commerciaux en logements reste complexe. 
Il n’empêche, le député MCG Amar Madani a déposé une question écrite au parlement afin de savoir combien de locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel ont été affectés à l’habitation depuis 2015? Et parmi ces logements, combien ont retrouvé, durant la décennie, leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle initiale.
Parallèlement, la commission du logement dans laquelle siège l’élu planche sur une motion qui vise à assouplir bien davantage le changement d’affectation d’une surface commerciale. «De nombreuses contraintes administratives freinent aujourd’hui les élans des propriétaires», explique-t-il. Et les normes concernant le bruit constituent l’un des obstacles majeurs. Comme le relève, le secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, Christophe Aumeunier: «Ces exigences sont les plus drastiques de Suisse. Zurich, beaucoup plus souple en la matière, garde mieux la main sur ce secteur immobilier que notre canton. En outre, il faut savoir que certaines rigidités dans les textes coupent l’herbe sous le pied des propriétaires fonciers. «Les Plans localisés de quartier (PLQ) sont rigides. Dès lors qu’ils sont adoptés, il n’est pas possible de faire machine arrière.»
Au-delà, pour le représentant de la CGI, un autre paramètre entre en ligne de compte. Tous les bureaux ne peuvent – même en consentant des travaux – se transformer en habitation. Certaines contraintes techniques, concernant notamment les équipements sanitaires, ne peuvent être contournées.
Un avis que ne partagent pas les autorités, qui estiment de leur côté que rien n’entrave ce type de travaux. «Il est aujourd’hui tout à fait possible de transformer des immeubles entiers de bureaux en logements, pour autant qu’ils ne soient pas dans une zone sensible (bruit des avions par exemple, même si cet aspect est aujourd’hui discuté au parlement fédéral). Dans les faits, on voit aujourd’hui que ce sont plutôt des opérations éparses. L’accélération du rythme des transformations de bureaux en logements est entièrement dans les mains des acteurs privés. Il n’y a aujourd’hui aucun frein légal ou réglementaire – sauf dans les secteurs sensibles – à faire de grosses opérations», explique Pauline de Salis-Soglio, secrétaire générale adjointe au Département du territoire (DT).
Peu de demandes d’autorisations
Toujours est-il que ces transformations restent pour l’heure limitées. «Depuis 2015, le Département du territoire a délivré 153 autorisations de construire relatives au changement d'affectation de locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel en locaux d'habitation», précise la secrétaire générale adjointe. En ajoutant que ces autorisations ne portent généralement que sur un ou deux logements. Plus largement, les autorités tiennent-elles compte de cette problématique pour l’aménagement de nouveaux quartiers? «C’est la notion de quartier mixte et vivant qui prévaut. Autrement dit, vous devez trouver dans un périmètre proche – la fameuse ville du quart d’heure – les activités économiques du quotidien ainsi que des infrastructures publiques adaptées (écoles, crèches, maisons de quartiers, etc.). Il n’y a donc pas de quartiers uniquement résidentiels ou de cités-dortoirs pour reprendre un terme connu, qui se construisent. De même, les secteurs à prédominance d’activité sont privilégiés près des gares ou de futurs nouveaux quartiers d’habitations (Pont Rouge ou quartier de l’Etoile au PAV par exemple)», indique encore Pauline de Salis-Soglio.

La Ville de Genève alignée sur Bâle et Zurich

Si la Ville de Genève n’est pas épargnée par le «syndrome» du bureau vide, avec 4,3%, elle reste alignée sur Bâle (5,4%) et Zurich (3,5%). Elle sort cependant mieux son épingle du jeu que d’autres communes. «Une fois rénovés, les anciens immeubles, désertés par des entreprises, trouvent facilement preneur. C’est le cas pour la bâtisse, place de Hollande, qui accueillait BNP Paribas. La moitié de la surface serait déjà relouée, alors que les travaux vont encore durer deux ans», affirme le maire de Genève, Alfonso Gomez. Pour le premier élu de la cité, si des sociétés quittent le centre-ville c’est moins pour des raisons fiscales que par volonté de regrouper sous un même toit leurs activités disséminées en divers lieux. Il n’empêche, l’hypercentre semble demeurer attractif en raison de ses commerces, de sa vie sociale, de ses infrastructures sportives dont peuvent jouir les employés. Ainsi, Alfonso Gomez en est certain, l’immeuble occupé par la Banque Edmond de Rothschild – qui va s’installer dans le quartier de l’Etang à Vernier – ne restera pas longtemps sans locataire.
Pour parer à tout risque d’hémorragie, la Ville, il est vrai, a créé en 2020 une délégation du Conseil administratif à l'économie. Elle s’est aussi dotée d’un délégué en charge des activités communales de développement économique. «Nous sommes en lien constant avec les entreprises qui peuvent nous faire part de leurs doléances et de leurs besoins.
Qu’il s’agisse par exemple de places de parking pour deux-roues ou de stationnement pour les artisans. Nous nous efforçons par ailleurs de faciliter les démarches nécessaires en matière d’octroi d’autorisations pour rénover des espaces», affirme encore le maire de Genève.