"La pénurie de médecins va gagner Genève!"

Les professionnels de la santé s’inquiètent des départs à la retraite et des changements impactant leur nombre. La régulation du nombre de praticiens bouscule la donne puisque les jeunes diplômés devront attendre avant d’entrer sur le marché du travail. Les explications de Michel Matter, président de l’Association des médecins du canton de Genève

Genève, qui connaît actuellement une forte densité médicale, devra-t-il faire face à une pénurie de médecins après 
le départ à la retraite des baby-boomers d’ici  trois à cinq ans? En attendant, le Canton, qui a devancé l’appel pour la mise en place d’une régulation du nombre de praticiens telle que voulue par Berne, avance à petits pas. Le Dr Michel Matter, président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe) comptant dans ses rangs 3000 membres (tous ne sont pas actifs), démêle ce qui ressemble à un véritable écheveau.

GHI : Le Dr Philippe Luchsinger, qui préside l’association Médecins de famille et de l’enfance, interrogé par la RTS en juillet passé, a alerté sur les risques de pénurie en Suisse de médecins de premier recours (généralistes et pédiatres), dans les trois ans à venir. Neuchâtel tente d’attirer des généralistes. Quelle est la situation à Genève?

Michel Matter: Sans être grand clerc, on peut imaginer que ce qui prévaut en Suisse s’appliquera à Genève dans les prochaines années. La pyramide des âges, mais également les changements du tarif médical (probablement en 2025), les contraintes administratives, l’équilibre entre la vie privée et professionnelle (temps partiel) et le regroupement des prestataires de soins dans des centres médicaux ou des maisons de santé vont entraîner le départ à la retraite de nombreux médecins de premier recours, mais aussi de spécialistes. Un inventaire des médecins qui pratiquent sur le territoire genevois a été effectué en juin dernier par le Département de la santé, mais aussi parallèlement par l’AMGe. Le but est de créer une cartographie précise par spécialité médicale afin d’anticiper toute pénurie.



Genève a décidé, dès l’an dernier, de servir de pionnier pour la mise en place d’une clause du besoin qui doit permettre de contenir le nombre de médecins. Qu’il s’agisse des généralistes (premiers recours) ou des spécialistes exerçant en ambulatoire. Voulu par Berne, cet instrument de régulation va se déployer obligatoirement dans tout le pays en 2025. N’est-on pas face à une grande contradiction? 


Genève va servir de laboratoire tant sur la façon de dresser un inventaire précis de l’ensemble des médecins exerçant en institution ou installés en ville que sur les critères de choix pour appliquer la clause du besoin aux diverses spécialités médicales. Les coûts de la santé augmentent, mais, de l’avis de nombreux experts, de politiciens et de l’AMGe, vouloir imposer la clause du besoin à la médecine de premier recours est un non-sens. Elle comporte à la fois la médecine interne générale (formation de cinq ans sanctionnée par un examen) et la pédiatrie, mais aussi la gynécologie obstétrique, la psychiatrie et la pédopsychiatrie. Ces spécialités devraient être mises en dehors de la clause du besoin. Le changement de magistrat à la tête du Département de la santé apporte l’espoir d’une évaluation favorable de la situation du terrain. La notion de sous-spécialités nous est également capitale. En effet, comment comprendre qu’un spécialiste du genou soit remplacé par un spécialiste de l’épaule pour prendre un exemple. La Commission quadripartite – regroupant les HUG, les jeunes médecins, les cliniques privées et l’AMGe, sous l’égide du Département de la santé et donc du magistrat Pierre Maudet – devra réguler le nombre de médecins à Genève dans toutes les spécialités.

Et les médecins venus d’ailleurs?

Les Eurodocs (les médecins qui ont suivi leur cursus dans un pays européen) posent une autre problématique qui doit être analysée. Leur formation n’est souvent pas aussi complète que celle exigée en Suisse pour la médecine interne générale. Ils obtiennent alors le titre de médecin-praticien et non pas le titre de médecine interne générale.
 


Les médecins absorbent une partie des urgences le jour, mais la nuit et les week-ends, à part les HUG où les patients peuvent-ils consulter?

Votre question est pertinente. Les urgences doivent être couvertes au mieux entre les HUG, les cliniques privées et les médecins traitants. Il est évident que nous devons offrir une meilleure prise en charge. La situation que nous avons pu voir cet hiver en Suisse romande n’est pas acceptable. Nous devons mieux participer aux urgences et trouver en commun comment répondre à la demande. 



Et la relève?

La profession a évolué au sens où une partie de la nouvelle génération ne souhaite pas exercer à temps plein. C’est une donnée essentielle. Si la clause du besoin est corrélée au droit de pratique et non à la disponibilité du médecin alors l’accès aux soins va être complexe. Pour ouvrir un cabinet ou exercer au sein d’un cabinet privé, il faut disposer non seulement du droit de pratique mais encore être reconnu (droit de pratique à charge) par les caisses maladie pour que les patients soient remboursés. Avec l’application de la clause du besoin, les nouveaux médecins ne pourront pas entrer sur le marché du travail. Ils devront patienter sur une liste d’attente.

La mesure n’est-elle pas dissuasive?

Un étudiant qui vise la cardiologie à Genève n’est pas certain de pouvoir exercer un jour cette spécialité dans notre ville. C’est la conséquence directe de la clause du besoin. Il pourrait devoir se tourner vers des opportunités ailleurs en Suisse. Il en sera de même pour un interne qui a terminé sa spécialisation dans les prochaines années (de nombreux internes ont reçu leur doit de pratique au cours des derniers mois selon la règle fédérale d’avoir au moins trois années de formation en Suisse et parler la langue de la région où la pratique sera exercée). L’AMGe reste particulièrement concernée par la relève.

Selon les quotas en vigueur, les malades devront-ils attendre avant d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste? 

Les autorités sanitaires genevoises et l’AMGe veilleront au meilleur accès à des soins qualitatifs pour tous.

 

Pierre Maudet, ministre en charge de la santé: "Je vais explorer plusieurs pistes"

GHI: Réguler le nombre des médecins pour inverser la tendance haussière des coûts de la santé soit. Mais Genève, à l’instar des autres cantons suisses, ne va-t-il pas connaître dans les 5 à 10 ans une pénurie de praticiens en raison des départs à la retraite?

Pierre Maudet: Cette question fait partie des réflexions qui se tiendront dans le cadre des états généraux de la santé qui se dérouleront le 1er décembre. Celle de la formation et de la relève – dans un contexte de possible pénurie – est évidemment centrale et fait partie de mes priorités.

Quelles pistes envisagez-vous pour résoudre la quadrature du cercle : contenir le nombre de médecins sans péjorer l’accès aux soins des patients? 

A Genève, la situation est particulière. Il y a une proportion de spécialistes par rapport aux généralistes encore plus déséquilibrée qu’ailleurs en Suisse. Mais dans le même temps, nous avons davantage de généralistes par habitant que partout ailleurs en Suisse. En théorie, il ne manque donc pas de généralistes – dont le nouveau recensement annuel complet est en cours – et dans les faits tous les citoyens ont accès à des bonnes prestations dans des délais corrects. Cela dit il est vrai qu’il est parfois difficile de trouver un rendez-vous ou un médecin traitant et que les consultations affichent souvent complet. Cela montre qu’augmenter encore l’offre ne suffit pas. Il faut travailler sur l’organisation de la réponse aux besoins.

Créer des maisons de santé qui regroupent plusieurs médecins et d’autres professionnels de la santé vous semble-t-il une option à explorer?

La création de réseaux de soins, tels que développés à Onex ou dans le Jura bernois, font partie des pistes que je souhaite effectivement explorer.