Dépistage du cancer: 72 millions pour rien

- Faute d'un programme national de dépistage, certaines femmes se font contrôler trop souvent et d'autres pas assez.
- L'Union suisse contre le cancer estime que les 72 millions dépensés par année ne servent à rien.
- Un récent rapport de l'Université de Genève révèle chez les femmes un manque frappant de connaissances.

  • Entre les gynécologues et leurs patientes, le communication semble ne pas toujours bien passer.

    Entre les gynécologues et leurs patientes, le communication semble ne pas toujours bien passer.

Larguées! La plupart des femmes ne savent pas à quoi sert le frottis gynécologique. En l'absence d'un programme national de dépistage du cancer du col de l'utérus, une partie d'entre elles se font contrôler trop souvent et l'autre pas assez. Au final, il se pratique dans le pays deux fois plus de frottis qu'il ne le faudrait pour lutter efficacement contre ce cancer. En effet, 520'000 tests par année suffiraient pour satisfaire aux recommandations sanitaires officielles, alors que le nombre recensé par les statistiques fédérales se situe entre 1 et 1,2 million. Cela représente une somme de 72 millions de francs dépensés inutilement chaque année, d'après une estimation de l'Union suisse contre le cancer. Oncosuisse.

Etude genevoise
Cette situation paradoxale est révélée dans une récente étude effectuée par l'Université de Genève sur des femmes de toutes origines vivant en Suisse. Il ressort de ce document une impression de malentendu général autour du dépistage du cancer du col de l'utérus. Ainsi, la grande majorité des femmes interrogées ne sont que «vaguement conscientes» du but du frottis, également appelé PAP-test (pour test de Pananicolau, du nom de son inventeur). Non seulement elles ne savent pas vraiment à quoi il sert, mais elles n'en comprennent pas les résultats, lorsque ceux-ci leur sont communiqués.

«Quand j'ai dit à une amie que j'avais fait le test de Papanicolau, elle m'a répondu: quoi, le test du petit papa Noël?» Heidi, 43 ans

Témoignages éloquents
Leurs témoignages sont «frappants», au dire des responsables de l'étude, Claudine Burton-Jeangros et Vanessa Fargnoli, chercheuses au département de sociologie de l'Université de Genève. Exemple: «Quand j'ai dit à une amie que j'avais fait le test de Papanicolau, elle m'a répondu: quoi, le test du petit papa Noël?» (Heidi, 43 ans). «Je ne sais absolument pas si je suis testée ou non, en tout cas on ne me l'a pas dit» (Elena, 45 ans). Mon médecin n'a jamais prononcé le mot utérus, sinon je m'en souviendrais» (Alison, 40 ans) «Le mien m'a toujours demandé si je voulais être dépistée, mais je ne sais pas pour quelle maladie» (Maurane, 50 ans). Il m'a dit que tout est en ordre, mais je ne sais pas bien ce que cela signifie» (Irina, 43 ans).

Dépister à leur insu?
Sachant qu'on allait leur poser des questions, certaines femmes enrôlées dans l'étude se sont dépêchées de téléphoner à leur gynécologue pour en savoir plus. Par exemple Régine: «J'ai compris qu'il m'avait testée pour le cancer du col de l'utérus sans me l'avoir dit, et là je suis restée un peu scotchée.» Ou encore Aurélie: «Pendant trente ans, je n'ai pas su que j'étais dépistée!». Il semble qu'il y ait souvent un défaut de communication entre le médecin et la patiente», relève Claudine Burton-Jeangros. Chez les patientes, on note une ambivalence: certaines trouvent leur gynécologue un peu trop parcimonieux en explications, mais elles ne lui posent pas beaucoup de questions non plus… Peut-être souhaitent-elles sincèrement être informées, mais craignent d'entendre des réponses qui pourraient les angoisser et ne se montrent finalement pas vraiment curieuses? D'autres pensent que le fait d'être au courant ne les empêcherait pas de risquer d'attraper un cancer et préfèrent par conséquent ne pas trop en savoir. Enfin, les femmes qui consultent plus souvent que nécessaire le font probablement dans le but de se rassurer. Bref, la façon dont les femmes gèrent l'inquiétude face à la maladie pourrait expliquer l'existence d'un double phénomène de sur-diagnostic et de sous-diagnostic.

Gynécologues embarrassés
Du côté des gynécologues, la question qui se pose semble être: «comment parler de cancer du col de l'utérus à ma patiente sans lui faire peur?» Leur embarras les inciterait à en dire le moins possible. Typiquement, si le résultat du frottis est normal, ils ne recontactent pas la patiente; ils ne se manifestent que si des analyses complémentaires s'imposent parce qu'une anomalie a été détectée. Cette attitude peut paraître incroyable: il s'agit du dépistage d'un cancer, tout de même!», déclare Patrick Petignat, président du Groupement romand de la Société suisse de gynécologie et d'obstétrique (SSGO).

Dépistage très inégal selon les cantons

FS • Il est conseillé d'effectuer un frottis gynécologique une fois tous les trois ans après deux tests normaux effectués à une année d'intervalle. Voilà les recommandations officielles en matière de dépistage du cancer de col de l'utérus. Dans la pratique, on constate des écarts notables dans les pourcentages de femmes dépistées, selon les régions linguistiques et les cantons. Ainsi, le taux est particulièrement élevé à Bâle (90%) et faible à Neuchâtel (60%). Et si la moyenne nationale approche les 79%, la proportion n'est que de 61% en Suisse romande… «Le problème est que le dépistage du cancer du col de l'utérus est soumis à une franchise, et il coûte entre 100 et 300 francs, remarque Patrick Petignat. Une solution pourrait être d'introduire un programme national de dépistage, comme c'est déjà le cas en France.»