«La question se pose surtout en termes de vivre ensemble et de respect»
Paul Humair, directeur du Cipret-Genève/Carrefours AddictionS, le centre de prévention du tabagisme
Déshabiller Pierre pour habiller Paul... Depuis 2010, et l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif, les Suisses n’ont plus le droit de fumer dans les lieux publics et au travail. Un vrai soulagement pour toutes celles et tous ceux qui subissaient, à leur corps défendant, les nuisances d’un tabagisme voulu et pratiqué par d’autres. Avec l’espoir de mettre fin à une véritable guerre du feu qui faisait rage depuis bien longtemps.
Seulement voilà. L’interdiction de fumer dans les lieux publics s’est soldée par un effet collatéral qui risque bien de relancer le débat. Un effet qui se manifeste massivement dès les beaux jours venus, puisque les terrasses de restaurants et de cafés sont désormais littéralement colonisées par les fumeurs.
«Je m’installe à l’intérieur»
«Il devient de plus en plus difficile de s’attabler sans subir les nuisances des fumeurs, déplore Mario, un quadragénaire, qui se défend pourtant d’être un intégriste antifumée. Nous sommes certes en plein air, mais il suffit qu’il y ait une tenture ou un parasol et on devient vraiment fumeur passif. Sans compter le fait qu’il est très gênant de se prendre sans arrêt de la fumée dans la figure. Du coup, j’ai renoncé aux terrasses pour m’installer systématiquement à l’intérieur!»
Pour l’heure, aucune étude scientifique n’est venue confirmer ou infirmer ce phénomène. Mais «il est clair que la fumée passive s’est déplacée vers l’extérieur», constate Verena El Fehri, directrice de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme, qui précise: «La fumée passive dans les espaces ouverts est certes gênante pour les consommateurs, mais elle peut même devenir un problème lorsque les personnes sont vulnérables, comme les femmes enceintes, les asthmatiques etc.»
Banalisation du tabac
Même son de cloche du côté de Jean-Paul Humair, directeur du Cipret-Genève/Carrefours AddictionS, le centre de prévention du tabagisme. «On n’a pas démontré de nocivité du tabagisme passif à l’extérieur, car le phénomène est récent et très difficile à mesurer, explique-t-il. Mais il est sûr que la fumée de tabac à l’extérieur gêne dans une population dont les trois quarts ne fument pas. La question se pose surtout en termes de vivre ensemble et de respect, sans parler des trop nombreux mégots jetés par terre. Les acteurs de santé publique doivent promouvoir la dénormalisation du tabagisme, qui se passera mieux si on ne fume pas dans les parcs, terrasses et lieux de loisirs, surtout pour les plus jeunes.»
Reste que le phénomène semble prendre de plus en plus d’ampleur. A tel point que le Tessin, canton pionnier dans la lutte contre le tabagisme, envisage purement et simplement d’étendre l’interdiction de fumer aux terrasses et aux places de jeux. Une députée PDC a déposé trois motions et une initiative parlementaire au Grand Conseil tessinois.
Liberté de choix
La démarche ne semble en tout cas pas séduire les restaurateurs. «Nous ne sommes pas favorables à une extension de l’interdiction de fumer dans les terrasses, réagit d’emblée Laurent Terlinchamp, président de la Société des cafetiers et restaurateurs genevois. La loi actuelle, l’éducation et le bon sens suffisent pour gérer cette problématique. Nous préférons donc laisser libre choix à chaque patron de définir sa terrasse comme un espace fumeur ou non-fumeur, de manière totale ou partielle d’ailleurs.»
Suisse lanterne rouge de l’Europe
«La plus urgente mesure de santé publique est d’interdire totalement la publicité, la promotion et le parrainage pour les produits du tabac. Bien que les études aient montré que cette mesure ferait baisser de 7,4% la consommation, la Suisse fait partie dans ce domaine des lanternes rouges en Europe», conclut Jean-Paul Humair.