Genève Aéroport: y a-t-il un pilote dans l’avion?

  • En 2015, avec 15,8 millions de passagers, l’aéroport genevois a battu un record de fréquentation. 
  • De l’avis de nombreux spécialistes, il a atteint sa capacité limite avec une seule piste. 
  • Pourtant, la croissance se poursuit, sans scénario de développement. Une folie?

  • Roger Gaberell. dr

    Roger Gaberell. dr

  • En 2030, «Genève Aéroport» accueillera 25 millions de passagers. Restez zen! THINKSTOCK

    En 2030, «Genève Aéroport» accueillera 25 millions de passagers. Restez zen! THINKSTOCK

  • Robert Deillon. dr

    Robert Deillon. dr

«10 millions de passagers annuels supplémentaires? C’est aberrant!»

Michel Fabre, vice-président démissionnaire de l’Aéroclub

Genève Aéroport a-t-il grandi trop vite? Hormis en 2009, le trafic passagers est en hausse constante depuis 2002. Cette année-là, le cap annuel des 7,5 millions de passagers est franchi pour la première fois.

Quatorze ans plus tard, ce chiffre a plus que doublé. Quelle est la stratégie pour faire face à cette forte croissance? Comment digérer ces nouveaux passagers sans pour autant agrandir la parcelle qui les accueille? Il faut ajouter au casse-tête genevois l’étude du bureau munichois Intraplan. Elle prévoit un trafic de 25 millions de passagers à Genève à l’horizon 2030, soit une hausse de 60%.

Ce scénario fait d’ores et déjà peur à Skyguide, la société chargée de surveiller et réguler l’espace aérien suisse: «La saturation se fait déjà sentir, nous avons presque atteint le seuil critique, précise son porte-parole Roger Gaberell. Nous devons déjà parfois retarder l’arrivée d’un avion.»

Inquiétude générale

Le contrôleur aérien Skyguide n’est de loin pas le seul à tirer la sonnette d’alarme. Jean-Pierre Jobin, directeur de Genève Aéroport de 1993 à 2006, estime que l’actuelle direction se gargarise d’une réussite à laquelle elle est étrangère: «La Confédération oblige les exploitants de l’aéroport à faire face à la demande, la croissance est là, mais elle n’est pas le fait d’une volonté de la direction d’avoir plus ou moins de passagers. Cependant, pour faire face à cette croissance, il faut agir maintenant!»

Même son de cloche de la part de Michel Fabre, vice-président démissionnaire de l’Aéroclub, le centre de formation des pilotes disposant d’une petite piste herbeuse au nord de l’aéroport: «Actuellement, c’est déjà le chaos! Il suffit de voir comment sont gérés les passagers lors des pics hivernaux et après on souhaite dix millions de voyageurs annuels supplémentaires? C’est aberrant!»

Voie inexploitée... et taboue!

Pour Jean-Pierre Jobin, il existe une voie encore inexploitée, et taboue, qui réglerait définitivement la capacité d’accueil. «La seconde piste est toujours possible! Cependant, politiquement, c’est voué à l’échec avec la ribambelle d’oppositions qu’elle susciterait.»

Cette idée irrite au plus haut point la direction de Genève Aéroport qui balaie d’un revers de la main ce scénario: «Dans les années 1960, il y avait cette opportunité, mais le projet est désormais enterré, note Robert Deillon, directeur de Genève Aéroport. Il n’est plus réaliste d’en envisager la construction car il y a désormais de nombreuses zones bâties autour de l’aéroport.» Il faut donc faire avec le terrain à disposition.

La solution au nord?

L’autre défi de taille pour la plate-forme aéroportuaire genevoise est donc de parvenir à maîtriser le flux des passagers. Autoroute bouchée, parkings saturés, terminal en surcapacité, les handicaps s’accumulent.

La future aile Est, actuellement en construction, n’y changera pas grand-chose. Ce projet est largement insuffisant pour répondre aux futurs besoins en matière de mobilité des passagers. Ce n’est donc pas du côté Est que l’aéroport genevois peut espérer une solution à la hausse de son trafic passagers, mais bien en direction du nord, là où se trouve actuellement la fameuse piste herbeuse de l’Aéroclub.

L’idée d’un deuxième véritable terminal au nord séduit Skyguide, l’un des principaux acteurs concernés par la hausse du trafic passagers: «Ce serait une option très intéressante, précise le porte-parole Roger Gaberell. Les capacités techniques du contrôle aérien seraient ainsi augmentées. Il y aurait aussi moins de temps d’attente sur la piste et moins de croisements entre les avions.»

De l’avis de presque toutes les personnes interrogées lors de cette enquête, la stratégie actuelle de Genève Aéroport est inexistante. Beaucoup soulignent l’insuffisance des mesures proposées et le manque de vision. Il est pourtant urgent d’agir.

Vous pouvez également retrouver cette enquête sur la plate-forme de journalisme en ligne www.sept.info

L'avis de Corine Moinat : «L’aéroport doit procéder à des aménagements»

Pour Corine Moinat, présidente du Conseil d’administration de Genève Aéroport, le seuil critique évoqué par Skyguide (voir article ci-dessus) doit être nuancé: «La question de la saturation ne s’envisage pas depuis un seul point de vue. Une partie de la réponse appartient justement à l’aéroport, qui doit procéder aux aménagements nécessaires à l’optimisation de la fluidité des flux ou du temps d’occupation de la piste, par exemple. Les ressources humaines devront également être augmentées.»

Journée noire - De l’exceptionnel à la norme

On se souvient encore de la journée noire du 21 février 2015. En raison de deux pannes techniques, de l’arrivée de la neige et du froid, l’aéroport a été complètement paralysé. Des avions ont dû être déroutés sur Lyon, avec à la clé des retards de plusieurs heures. Le matin même de cette journée de forte affluence, le système d’enregistrement des bagages a également rencontré un problème informatique. Avec 69’000 passagers, contre 40’000 pour une journée normale, ce samedi de transit de vacanciers fut totalement chaotique. Le problème, c’est que dans 15 ans, l’exceptionnel risque bien d’être la norme. Et il faudra y faire face chaque jour…