L’aide alimentaire explose

  • Courant novembre, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 18% et frôle les 7000 par semaine.
  • Aux Colis du cœur à Carouge, les familles viennent chercher céréales, légumes et couches.
  • Reportage au cœur d’un dispositif indispensable face à une précarité qui n’est pas près de se résorber en 2021.

  • Les bénéficiaires ont augmenté par rapport au printemps, mais, avec quatre sites de distribution, ils patientent moins longtemps. STéPHANE CHOLLET

    Les bénéficiaires ont augmenté par rapport au printemps, mais, avec quatre sites de distribution, ils patientent moins longtemps. STÉPHANE CHOLLET

«La distribution étant répartie sur quatre sites, la visibilité est moindre. Mais, il y a plus de bénéficiaires qu’aux Vernets»

Pierre Philippe, directeur des Colis du cœur

Bien calée dans sa poussette, une petite fille de 2 ans au regard pétillant agite la main et envoie des baisers aux bénévoles. C’est pour pouvoir la nourrir que sa mère, Felisa, vient tous les mardis après-midi récupérer des denrées alimentaires dans les locaux carougeois des Colis du cœur. Cette maman philippine compte sur l’aide de l’association pour les légumes, le lait mais aussi les couches. «C’est indispensable et encore plus aujourd’hui, explique la mère célibataire. J’ai perdu mon travail à temps partiel. Je ne travaille plus que deux jours par semaine comme femme de ménage. Résultat, je gagne tout juste de quoi payer mon loyer.» Une situation qui n’a cessé de se détériorer depuis le mois de mars.

Elle n’est pas la seule à subir de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire, devenue crise économique et sociale. A 50 ans, Benoît a dû se résoudre à se rendre lui aussi chaque semaine rue Blavignac. «Cette année, c’est vraiment difficile. Je travaille dans l’industrie et je me suis retrouvé au chômage à partir de mai.» D’une aide ponctuelle, les colis sont devenus un soutien matériel hebdomadaire indispensable.

«Avant, on était un petit nombre de bénéficiaires. Là, ça a dépassé tout entendement. Il y a des gens qu’on n’aurait jamais vus avant», souligne ce papa d’origine congolaise arrivé à Genève en 2013. «Pour moi, l’humanitaire, c’était la Croix-Rouge ou Action contre la faim. Et là... On voit ça, ici à Genève.»

Tandis qu’il aide sa femme à ranger les céréales et la salade dans leur caddie, sous les yeux de leur fils cadet, âgé de 2 ans, le défilé des bénéficiaires se poursuit. Ils pénètrent dans le local, masqués, cinq par cinq, après avoir attendu dehors, sous le hangar prêté par le maraîcher voisin.

Semoule, légumes et masques

Ils passent ensuite devant Paulette ou l’un des bénévoles chargés de vérifier grâce à leur numéro de dossier qu’ils ont droit à un colis. «On entre le numéro ou le nom et prénom dans le logiciel, détaille la retraitée à la chasuble orange. On vérifie la pièce d’identité. Puis, selon la composition du foyer, on donne un ticket pour un, deux ou trois colis et éventuellement des produits pour bébé.» A noter que les colis s’adressent aux personnes habitant le canton et disposant d’une attestation délivrée par l’un des 35 services sociaux partenaires.

Muni des précieux bons, le bénéficiaire file voir Raoul pour récupérer le sac de «sec». «Il contient de la semoule, du thon, des sardines, du riz ou encore de la sauce tomate. Parfois du lait», précise le bénévole. S’ajoute un cornet rempli de fruits et légumes. Pour finir par le stand «nouveau-né» ainsi qu’une boîte de 50 masques.

Peu à peu, le flux s’estompe. A 13h30, avant que les portes ne s’ouvrent, ils étaient une quarantaine à faire la queue. On est loin de la file d’attente observée au printemps aux abords de la patinoire des Vernets. «Le point positif, c’est que les bénéficiaires patientent moins longtemps. Ce n’est pas rien surtout avec ce froid», affirme d’emblée le directeur des Colis du cœur, Pierre Philippe. Autre point positif: la solidarité. «On a largement assez de bénévoles. Voire plus d’offres que de besoin.»

Quatre sites

Reste le gros point noir: «La distribution étant désormais répartie sur quatre sites (Les Colis du cœur à Carouge, Palladium à Genève, Pie X à Vernier et Caran d’Ache à Thônex), cette précarité est moins visible. Pourtant, il y a plus de bénéficiaires par semaine», souligne-t-il avec insistance. Le nombre de personnes aidées a ainsi frôlé les 7000 fin novembre. «On a distribué jusqu’à 4250 colis la semaine du 23 novembre et 4210 la semaine dernière. Alors que le 6 juin, aux Vernets, on était à 3100.»

«La crise ne va pas se résorber»

Si la «fréquentation» des sites varie un peu d’une semaine à l’autre, il est clair que les effets de la seconde phase de semi-confinement se sont fait sentir. Entre le 2 et le 23 novembre, le nombre de personnes aidées a augmenté de 18%. «Avec plus de bénéficiaires issus du marché de travaux publics et de la restauration et un peu moins du travail domestique, précise Pierre Philippe. A cela s’ajoute l’approche de la fin de l’année, une période toujours difficile pour les familles démunies.»

A noter que pour mettre un peu de couleurs dans la grisaille hivernale, Caran d’Ache a offert une boîte de crayons à chaque enfant. Des paniers de Noël, concoctés par la Croix-Rouge et les Colis du cœur, seront aussi distribués aux bénéficiaires.

Un sourire pour les Fêtes, mais qui devrait être de courte durée. «En mars comme en novembre, il a fallu répondre à l’urgence, mais la crise de 2020 a révélé les lacunes de l’aide sociale», souligne Pierre Philippe. Et de tirer la sonnette d’alarme: «En 2021, la crise sociale ne va pas se résorber. On va rester à une moyenne de 6000 bénéficiaires.»

Dons: www.colisducoeur.ch/faire-un-don

Le chiffre: 80%

C’est le nombre de ménages bénéficiaires des Colis du cœur qui ont dû réduire la qualité ou la quantité de nourriture en novembre. En mai, selon l’étude de l’Université de Genève (Unige), ils étaient 61%. En novembre, 41% des familles interrogées indiquaient avoir réduit la qualité ou la quantité de nourrituredes enfants. Contre 27% au printemps.